De la Figure d’Ève au sujet-femme : une relecture discursive du désir de la femme dans Genèse 3, par Lydwine Olivier, vol. 3

L’auteur

Lydwine Olivier est théologienne et accompagnatrice au CÉINR. Elle a une maitrise en Bible, un doctorat en théologie et une formation en psychanalyse. Ses recherches portent sur la clinique de l’écoute et de la relecture discursive ; la femme, le féminin et la maternité ; la psychanalyse ; la question de Dieu en modernité.

Citer l’article : Lydwine Olivier, « De la Figure d’Ève au sujet-femme : une relecture discursive du désir de la femme dans Genèse 3 », Revue Ouvertures vol 3, p, 227-241.

Résumé :

Cet article retrace la trajectoire d’Ève comme sujet-femme désirante suivie par Lydwine Olivier dans sa thèse « Ève, du manque au sujet-femme, une relecture discursive du désir de la femme dans Genèse 3 à partir de ses réceptions ». Cette thèse cherche, à partir de la relecture des réceptions de la figure d’Ève dans le second récit de la Genèse, à saisir un certain nombre d’enjeux qui concernent autant la figure féminine telle que le texte la met en scène que les femmes en tant que sujets désirants. Il ne s’agit donc pas de donner une nouvelle interprétation du récit dit de la tentation. Il s’agit plutôt, en partant de la façon dont des hommes ont relu la figure d’Ève, en lien avec leur perception des femmes, de montrer la façon dont le texte biblique met en scène un sujet femme désirant et ses incidences pour les femmes. La méthode de la relecture discursive permet de proposer que le texte nous met en face d’une femme désirante, dans le débordement que cette posture féminine implique. Ainsi, cet article permet de parler, à travers la figure d’Ève, de son rapport au serpent, à l’arbre, à l’homme et à Dieu, des enjeux du féminin pour chaque femme, dans le rapport que chacune éprouve dans son rapport à sa féminité, au maternel, aux hommes, à son désir et à l’Autre.

This article retraces the trajectory of Eve as a desiring subject-woman followed by Lydwine Olivier in her thesis « Ève, du manque au sujet-femme, une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions ». From the rereading of the receptions of the figure of Eve in the second chapter of Genesis, this thesis seeks to grasp a certain number of issues that concern both the feminin figure as the text presents it, and women as desiring subjects. It is not therefore a question of giving a new interpretation of the biblical text known as the story of the temptation. It is rather a question, starting from the way in which some men have reread the figure of Eve, in connection with their perceptions of women, of showing the way in which the biblical text addresses a desiring subject-woman, and its incidences for women. The method of discursive rereading allows us to propose that the text puts us in front of a desiring woman. Thus, this article allows to explain, through the figure of Eve, her relationship to the serpent, to the tree, to man and to God, and also feminine issues of each woman, such as examples: experiences in her relation to her femininity, to her maternity, to men, to her desire, and to the Other.

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0- Actualité d’une recherche qui prend en compte « le désir de la femme dans Genèse 3 »

L’actualité ne cesse de nous rappeler qu’être une femme, ce n’est pas facile, ce n’est pas évident, ce n’est pas une évidence. Simone de Beauvoir disait qu’on ne nait pas femme, on le devient. Et c’est bien la question du devenir femme qui est au centre de la présente contribution, en proposant de sortir des sentiers battus dans lesquels on tend actuellement à enfermer la question du féminin. En effet, la question du féminin se situe dans une lecture qui s’écrit à grands cris dans une vague dénonçant les mauvais traitements et la violence physique, sexuelle et médicale que subissent encore aujourd’hui, en 2022, de trop nombreuses femmes. Ici, il ne s’agit pas d’opposer masculin et féminin dans un rapport de dualité binaire un peu simpliste, qui permettrait de postuler que le féminin pourrait se déterminer sans la présence du partenaire humain masculin, ou que le manque de pénis serait la caractéristique première du féminin.

Ce dont il s’agit, c’est de prendre acte du fait que de tout temps, y compris même dans leur discours, des hommes ont tenté d’exercer un contrôle, voire une maîtrise du féminin, au point même de la réduire à un devenir mère comme si être femme et être mère était de simples synonymes. Face à des sociétés machistes qui ont existé dans l’histoire humaine et qui continuent encore aujourd’hui d’alimenter des situations dramatiques pour de trop nombreuses femmes, comme en témoigne par exemple la situation des femmes afghanes prises avec le retour des talibans, comment une femme peut-elle être amenée à trouver, en tant que femme, des voies d’expression pour son désir unique et singulier ?

Tel est bien le sujet de ma thèse, qui s’intitule « Ève, du manque au sujet-femme, une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions »[1]. L’expression « le désir de la femme » réfère autant au désir dont la femme est l’objet, que du désir qu’éprouve une femme-sujet. Autrement dit, il s’agit de s’intéresser au désir d’une femme comme mouvement qui implique un rapport à l’Autre, soit un mouvement fondé sur le fait qu’étant des êtres parlants, nous sommes soumis au langage et à ses effets. Des effets auxquels nous ne pouvons nous soustraire, qui agissent et nous agitent à notre insu, comme le récit le raconte : nous parlons autant que nous sommes parlés.

Ma thèse avait ainsi un objectif double. Le premier était s’intéresser, à travers la figure d’Ève dans le récit de la Genèse, au « désir de la femme ». L’autre objectif visait à cerner les effets produits par la méthode de la relecture discursive dans la relecture d’un texte majeur autant pour le christianisme que pour les femmes. Pour le christianisme, on se souvient que c’est l’interprétation du récit, dit « de la tentation », qui a permis d’introduire la doctrine du péché originel. Mais c’est aussi à partir des commentaires de ce récit qu’une certaine idée de « la femme », figurée par Ève, s’est construite, et qu’une certaine vision des femmes s’est renforcée. Il s’agissait donc de travailler la figure d’Ève comme figure du féminin, comme femme-sujet désirant, mais aussi comme femme, objet de désir.

Ce travail permet de saisir que qu’on ne peut confiner la femme du second récit de la création à un personnage biblique, ni même la réduire à n’être que la première femme de l’humanité. Parler d’Ève, c’est parler de la femme, des femmes, du féminin, de la posture féminine. Pourtant, dans le regard des hommes que j’ai appelé « la Tradition », on peut se demander si parler d’Ève c’est parler de la première femme, ou de la première mère ? Cette question pose d’emblée la question du regard et du désir des hommes sur la femme, autrement dit de leur rapport à la femme, aux femmes et au féminin. À partir de ces prémisses, cette thèse a voulu aborder « la femme » en tant que première femme, mais aussi comme figure féminine, soit comme représentante du féminin, comme représentante de la mise en jeu et de la mise au « je » du désir d’un sujet-femme.

Cependant, ce n’est que dans l’après-coup que j’ai pu cerner ce mouvement du passage d’une femme-objet à une femme-sujet : une fois relus des commentaires posés par des hommes sur Ève, mais aussi sur les femmes, sur le féminin. Or, on assiste à un mouvement de va-et-vient, dans le regard des hommes, d’une perception des femmes pour lire Ève à une vision d’Ève pour juger les femmes, et réciproquement. Mais pas seulement. Car « la femme » n’est pas étrangère à « la mère ». La mère n’est-elle pas le premier contact d’un homme avec le féminin ? Or cette constance, que tout homme nait d’une mère, en cache une autre, plus difficile pour un homme si l’on en croit un certain nombre des textes, en commençant par Aristote, et c’est d’être né d’une femme. Ainsi, s’intéresser à la figure d’Ève permet de revisiter la place qu’elle occupe dans l’imaginaire chrétien. Mais surtout, cela permet de dérouler cette question à partir du féminin, en posant la question du désir et du féminin pour une femme-sujet. Qu’est-ce que la figure d’Ève, dans le second récit de la création, vient dire de nous, femmes, de notre désir, de notre rapport au maternel et à la maternité ?

1- La relecture discursive comme cadre d’une relecture en ouverture

1.1 Une relecture dans l’après-coup de commentaires faits par d’autres lecteurs

Le choix de la méthode de la relecture discursive est majeur dans ce travail, car elle est à l’origine, dans l’après-coup, de la trajectoire de cette thèse. Ce choix s’est en quelque sorte imposé au fil de mes recherches et de mes travaux préliminaires. En effet, il m’est apparu évident, au fil de mes lectures, que je ne pouvais partir du texte de Genèse 3. Il me fallait d’abord cerner ce qui s’était dit dans les commentaires de ce texte majeur, pour ne pas dire fondateur. Une erreur grammaticale de traduction a fini de me décider à travailler selon un mode rétroactif, en partant du regard des hommes sur les femmes et sur Ève pour relire ensuite le texte. Explorer ce qui a été dit d’Ève comme figure à la fois mythique et actuelle, m’a permis d’essayer de cerner : 1/ ce qu’elle représente dans une certaine culture dominée par des hommes, 2/ ce qu’elle vient dire de nous, femmes, 3/ ce qu’elle vient nous dire, à nous, femmes.

Si, pendant des siècles, ce sont plutôt des hommes qui ont relu le récit, jugé Ève, on remarque que, depuis un siècle, de nombreuses femmes ont également travaillé le texte. Elles l’ont souvent fait pour dénoncer ce que les hommes en ont dit, mais aussi pour avoir une énonciation de femme sur ce texte et sur Ève en tant que femme, en tant que figure féminine Mais elles l’ont aussi fait pour dénoncer le patriarcat à l’œuvre (ou non) dans le texte et ses commentaires, juger de sa pertinence pour les femmes, mais aussi pour la réhabiliter. Ma recherche s’inscrit donc dans ce mouvement de femmes, peut-être plus féminin que « féministe », qui veut donner une voix aux femmes et au féminin dans l’ambigüité que le signifiant « la femme » déclenche, à travers la posture d’Ève comme sujet-femme désirant, tel que le second récit de la Genèse la met en scène. Le texte permet de soutenir trois choses au moins :

1/ la femme, comme lieu du manque et d’ouverture, réalise le désir de Dieu ;

2/ le texte met en scène une femme sujet de son désir ;

3/ une femme ne peut s’extraire de la dimension de son rapport à la maternité : elle n’a d’autre choix que de s’y confronter. 

Ainsi, la figure d’Ève est une occasion précieuse de travailler la question du féminin comme faille, et au-delà, de travailler la question de la fragilité de la condition humaine. En effet, à travers la figure d’Ève, cette thèse touche aussi la question des origines comme celle de notre rapport à la vie, au désir, à la mort, au sexuel, car le texte met en scène la radicalité de la différence des sexes, comme écart impossible à combler,  autant de thèmes qui nous agitent chacun, collectivement et singulièrement.

1.2 Une méthodologie qui repose sur le désir inconscient

Cette thèse et la logique de son organisation interne reposent sur une méthodologie développée par d’autres tels que Guy-Robert Saint-Arnaud[2], Marie-Ève Garand[3], Christian Dubuis Santini[4], ou encore Fernando Silveira Rosa[5]. Elle repose sur le mouvement du désir du parlêtre tel que Lacan le schématise, sous la forme d’une double trajectoire. La première représente le discours du moi, comme discours égotique, discours conscient, dans un mouvement qui va vers l’avant, selon un rapport du temps qui passe. La seconde inscrit un effet de coupure dans un mouvement rétroactif, qui s’inscrit simultanément en deux points comme le schéma ci-dessous l’indique.

C’est ce mouvement rétroactif, qui, en coupant tout discours courant, donc du moi, permet de saisir quelque chose du discours du sujet, et donc nécessairement de son désir. Ce mouvement, appelé relecture, propose une lecture qui, en prenant en compte ce mouvement rétroactif, organise la relecture d’un événement raconté sous la forme d’écart provoqué par ce mouvement rétroactif de coupure, qui n’en finit pas de produire un effet de « re-modelage » du discours lui-même, cette fois en tant qu’énonciation et non plus comme seul énoncé. De la même façon qu’on ne peut jamais tout dire [on en dit trop ou pas assez, et ça ne reste pas figé une fois pour toutes], ce schéma permet de saisir quelque chose dont Freud et Lacan parlent quand ils parlent de désir inconscient et de son temps de relecture après-coup.

Ce mouvement de relecture après-coup préside ma recherche. Comme on a affaire à un texte qui a été abondamment relu, traduit, commenté, avec une superposition de commentateurs qui ont commenté les commentaires textuels, on cerne mieux l’importance d’une telle méthodologie pour suivre, de façon rétroactive, au futur antérieur dirait Lacan, les effets de discours de ces commentaires superposés, pour ne pas dire enchevêtrés. Selon cette orientation, l’énonciation et le mouvement de sujet désirant qui s’y inscrivent deviennent centraux. Ces commentaires ne sont plus de simples commentaires distincts du texte. Ils deviennent les supports d’une trame à lire pour cerner quelque chose du désir de la femme entre les lignes, reliés par un désir inconscient qui surgit quand on y prête une attention soutenue, même quand la piste est ténue. Le présupposé ici est donc d’assumer qu’au cœur du récit et de ses lecteurs s’inscrit une parole portée par un désir, soit précisément ce qui nous anime, auquel on ne peut échapper, un désir qui, comme le souligne Françoise Dolto, « est un appel à la communication interhumaine »[6].

1.3 Une lecture selon un mouvement de boucles de rétroactions : l’après-coup

Ainsi, la prémisse de cette méthode est que tout discours produit des effets, mais aussi que tout discours existe à partir d’un autre discours, le discours de l’Autre. Autrement dit, un discours n’existe qu’en lien avec d’autres discours. C’est à partir de ces autres discours que le discours d’un lecteur, d’un commentateur se construit. Un tel discours, pris entre désir et « j’ouïs-sens », ne peut se relire, dans ses effets de sens, qu’à la lumière de ses effets rétroactifs, soit ce qui, rétroactivement, lui a permis de le construire. Selon cette perspective, c’est bien dans un effet d’après-coup que le sens se construit, que les mots prennent corps, font sens. Ce mouvement traduit à quel point nul ne peut échapper à la loi du langage qui nous constitue. À cause de cela, les mots n’équivalent pas à des choses. Ils sont du côté du semblant, qui lui n’a pas de sens, ce qui donne sa force à l’énoncé de Lacan selon lequel un mot est un signifiant qui représente un autre signifiant pour le sujet, sans lequel il (le sujet) n’est rien.

Cette orientation méthodologique utilise donc le même mouvement double. La nouveauté de ma thèse réside donc dans le fait que je n’ai pas d’abord travaillé Gn 3 pour nourrir ensuite ma réflexion des traductions et commentaires sur ce texte. C’est bien à partir des commentaires et traductions que j’ai abordé le texte de Gn 3, soit sur ce même mode rétroactif. Il s’agissait de considérer les commentaires et traductions produits à cause du texte de Gn 3 comme faisant corps avec lui. Ici, on prend en compte la théorie des trois mondes auteurs, texte, lecteurs, mais en y ajoutant un quatrième : le monde de l’Autre, soit celui de la culture, de l’environnent qui nous entoure, le monde du langage, de la transmission, qui fait effet rétroactivement, au futur antérieur.

Travailler à partir de ce mouvement m’a permis de lire les discours (ici des textes), en restant attentive aux effets de désir dans le mouvement d’après-coup qu’il déclenche, donc aux signifiants. C’est pour cela que ma thèse travaille sous la forme de boucles de rétroaction, selon une forme de spirale qui opère un effet de répétition tout en introduisant des variations, au point de former le premier mouvement de ma thèse, qui s’est intéressé au discours des hommes sur « la femme ».

Cela m’a permis de cerner que des hommes ont imprimé à la première femme leur vison des femmes. Et en retour, leur vision d’Ève est venue nourrir leur vision des femmes. Explorer et dérouler la pensée des hommes sur les femmes, le féminin et Ève a servi de fil conducteur pour cerner en retour Ève comme représentante du féminin.

Selon cette modalité d’analyse, parler de l’homme et de la femme ne renvoie pas d’abord au biologique, au genre, ou à des individus. Parler de l’homme et de la femme en tant que différence permet de questionner nos rapports humains, ceux que nous construisons comme parlêtres, des corps parlants et jouissants, avec les mots existant pour décrire la différence sexuelle. Or, en tant que tels, les mots ne renvoient pas tant à des individus qu’à des signifiants, des représentations[7]. Ils nous traversent et parlent de nous autant qu’ils nous permettent de parler de nous. Je suis donc, en tant que parlêtre, tout autant impliquée dans ces effets de discours, à partir de mon regard singulier de femme qui s’intéresse au féminin et au désir féminin dans son rapport de sujet à l’Autre.

La logique discursive utilisée dans cette thèse implique une cohérence qui se situe à deux niveaux. Cette logique se situe, au premier niveau, dans les effets d’une relecture des discours sur le texte et dans le texte, selon un mouvement rigoureux qui tient compte du texte, au plus près de ce qui en est écrit dans les commentaires, voire même dans les écrits réalisés sur ces commentaires. Cette organisation forme ainsi un second niveau, sous la forme d’une chaine signifiante à suivre à la trace, pour relire les traces d’effacement qui s’écrivent entre les lignes et que les commentaires ne disent pas, ou disent sans s’en rendre compte, à leur insu.

1.4 Lire le récit « comme un rêve » pour saisir les effets d’inconscient du texte

Utiliser une approche qui prend en compte l’inconscient et le nécessaire effet d’après-coup auquel, comme sujet de désir, nous sommes soumis, m’a permis de sortir d’une lecture chronologique du récit. En effet, si toute narration implique d’y inscrire une chronologie, cette chronologie n’est pas forcément celle du temps de l’horloge, qui impose une chronologie au texte. C’est pourtant sur ce mode que, traditionnellement, le récit a été relu. Or, aborder le récit sous ce rapport chronologique a conduit d’une part, à lire un avant et un après la chute qui a légitimé une lecture sur le versant du péché originel et, d’autre part à fonder la recherche d’une origine éternellement à retrouver : le paradis perdu, en légitimant cette lecture. Cette orientation a laissé dans l’ombre tout le rapport cyclique au temps du texte qui, lui, pose la question de l’origine de la Vie et de son élan vital, le désir.

Pour cette raison, j’ai choisi de relire le texte « comme un rêve ». Cette orientation m’a permis de sortir de cette logique du temps chronologique, et le travailler selon la structure de l’inconscient, qui ne connait ni le temps ni la négation. J’ai alors pu travailler la question du désir de Dieu et de la femme dans leur logique propre, soit selon une éthique qui peut surprendre, voire déranger, mais qui inscrit le manque et le surgissement du désir comme lieu de la Vie.

1.5 Un travail en ouverture : dialoguer avec d’autres disciplines

Ces précisions permettent de dire que ma recherche ne vise donc pas d’abord de fournir une nouvelle interprétation du texte de Genèse, mais s’inscrit plutôt dans une recherche de dialogue entre plusieurs disciplines. Au-delà de l’exégèse et de la théologie, travailler à l’écoute de textes féministes et/ou d’obédience psychanalytiques permet de nourrir des réflexions où Ève et le féminin peuvent être relus en ouverture. Cette ouverture ne se situe ni en opposition ni en complémentarité avec d’autres travaux, que ce soit sur le texte de Genèse 3 ou sur le féminin, mais bien sous le signe d’une relecture discursive qui s’intéresse aux effets des discours, à la fois dans le texte, sur le texte, mais aussi vis-à-vis des commentaires qui en ont été faits. Ici, il s’agit de considérer qu’un dit, ici un texte, n’a jamais fini de parler : il est pris dans une communauté de lecteurs qui impose au nouveau lecteur de « faire avec ce qu’on a fait dire au texte avant lui » comme le rappelle Delphine Horvilleur, pour « construire de l’inouïe »[8]. Autrement dit, je me situe à mon tour dans cette communauté de lecteurs qui inscrivent leur discours dans la communauté des « parlêtres », selon l’expression de Lacan.

2- Saisir dans quels discours « la femme » est prise

2.1 Le poids des présupposés comme textes dans lequel le texte est pris

En réalisant la traduction du texte de Genèse 3, je me suis aperçue que j’avais fait une erreur d’autant plus étrange que le texte hébreu ne permet pas de la faire. En mettant un féminin singulier, j’avais fait de la femme l’adversaire du serpent, là où le texte met un masculin singulier pour désigner les descendants d’Ève comme étant les adversaires du serpent[9]. J’avais confondu le texte avec la représentation que l’iconographie religieuse de « la Tradition » a souvent mis en scène : Marie écrasant la tête du serpent. J’ai alors mesuré à quel point je ne lisais pas le texte à partir de rien. Il me fallait donc commencer par relire ce qui en avait été dit, ce qui m’a amenée à inclure ce que j’ai appelé « les réceptions » comme faisant partie du texte, et tenir ainsi compte du fait que le texte n’est pas étranger au monde dans lequel nous baignons tous : le langage, la culture, nos récits gros des générations passées.

Ainsi, la première partie de cette recherche rend compte de cette communauté de textes choisis, ce qui permet de saisir comment le texte et la femme du texte sont pris dans ces relectures. Il s’agissait de montrer les effets des boucles de rétroactions autant sur la femme du texte que sur les femmes, et le nouage qu’ils avaient produit leurs effets tant sur les femmes que sur Ève. À l’intérieur de ces « réceptions », on retrouve plusieurs communautés plus spécifiques. La première regroupe des auteurs issus de la période intertestamentaire, là encore selon une définition et un regroupement organisé en lien avec ma recherche. La deuxième, appelée « la Tradition », regroupe des auteurs qui vont d’Augustin à l’Église actuelle, là encore selon des choix en lien avec ce que je voulais faire ressortir. Le dernier groupe est constitué d’auteurs féministes, de psychanalystes, ou d’auteurs proches de la psychanalyste ayant travaillé les questions qui m’occupaient.

2.2 La femme : le lieu de la perte comme révélateur de la faille

L’étude des textes regroupés sous le terme de « Tradition » montre que nombre d’entre eux ne sont pas étrangers à la doctrine du péché originel, doctrine qui prend appui précisément sur ce texte de la Genèse. Cette analyse fait ressortir que « la Tradition » a influencé et a été influencée par la vision que ces auteurs avaient du texte et de « la femme ». Si j’emploie ce signifiant « la femme », c’est qu’il peut concerner autant la première femme que les femmes ou le féminin : le mot fait office de représentation, de signifiant.

Or, la première partie de cette recherche montre que, si pour certains, la femme est certainement la cause de la perte de l’homme, la nécessité théologique de faire du Christ le nouvel Adam a évincé Ève dans sa singularité de représentante autant du féminin que d’une position de femme-sujet. Une fois perçu ce nouage, on peut entrevoir que la femme devient, dans le texte, la représentante de la faiblesse, puisque par constitution manquante et manquée. Mais, dans le regard de ces hommes, on comprend comment le manque a pu être lu comme la perte, selon un rapport d’objet. À leurs yeux, la femme devient l’objet perdu de l’homme. Elle devient la métaphore de cette chair perçue comme lieu de la perte du paradis et lieu de la tentation. Sous ce regard, Ève représente le lieu d’un objet perdu à retrouver (le paradis perdu), et le désir sous l’angle de la convoitise, lieu de perdition.

Mais ce n’est pas tout. À la lecture de ces commentaires choisis, on s’aperçoit aussi que leurs lectures cachent, en le découvrant, le vertige que le féminin représente : la vulnérabilité, l’incomplétude, ce qui est troué, ce qui fait faille. Une faille recouverte sous l’idéal de la Vierge-Mère – qui ne saurait recouvrir complètement Marie, femme. Mais la Vierge-Mère, telle que les Églises catholique, orthodoxes et protestantes en parlent, chacune avec ses modulations, est-elle encore (en-corps) femme ?

Cette découverte est redoublée de l’apport de commentaires de femmes, de féministes, de biblistes et de psychanalystes. Les uns ouvrent le texte à une lecture d’Ève comme altérité irréductible, en la reconnaissant comme individu, femme responsable, intelligente, qui assume ses choix. Les autres mettent à nu l’insoutenable, pour des hommes, d’être né d’une femme, qui signe la faille qu’elle représente : elle « dit-faille ». Cette brèche vient rappeler que l’origine est déjà trouée, et donc irrémédiablement toujours déjà perdue, une orientation qui met sur la piste du paradis comme illusion de l’Un. Incidemment, ces relectures opèrent aussi une brèche dans la femme comme objet, qu’il soit convoité ou cause du désir, ouvrant la voie au singulier du sujet.

3- Le rapport de la femme-sujet au désir de L’Autre

C’est dans cette faille « incomblable » du manque que la femme du texte se fait métaphore et symptôme, mais aussi lieu de vie, lieu de l’Autre. En effet, c’est bien à partir du manque que de la parole surgit. D’abord, l’adam parle quand la femme se présente devant lui « os de mes os, chair de ma chair ». Vient ensuite le serpent, qui introduit le rapport à l’Autre sous la forme d’un dialogue. De ce lieu émerge un sujet désirant, la femme, pris comme parlêtre entre le corps et le langage, sujet divisé, aliéné à cet in-su, ce lieu qui nous habite et nous agite, le lieu de l’Autre.

3.1 Une femme, sujet désirant singulier

C’est donc à la fois comme lieu de l’Autre, comme corps troué, comme manquée et manquante que la femme se situe du côté du « pas-tout », à entendre comme lieu en ouverture, au point d’excéder le désir de Dieu en le réalisant. En effet, n’oublions pas que Dieu construit la femme quand il réalise qu’il veut que l’humain soit « tout-seul »[10], dans l’enfermement du Un. L’apparition de la femme, être de chair et métaphore du manque, organise deux choses. Elle organise la déchirure dans le tout de l’universel représenté par l’adam. Et son existence permet l’irruption du serpent comme figure de l’Autre, trésor des signifiants, trésor du lieu du dialogue qui nécessairement se « mi‑dit », qui ne se dit « pas‑tout », qui se conjugue au « ment-songe ». De cet échange, soit de l’avènement du langage sous la forme d’une relation, surgit le désir chez la femme. Et, ce qu’elle désire se lit sous la forme d’un mouvement, du côté à la fois de l’avoir et de l’être : elle désire avoir la connaissance et être comme Dieu.

Ainsi, Ève la Vivante, soit le nom que l’adam donne à Ève une fois surgi le désir, met en scène un sujet-femme qui y fait avec son désir : désir d’être en relation, désir de savoir, désir de vivre en connaissant et assumant sa vie, y compris sa honte, sa responsabilité, désir de se vivre comme être charnel, désir de se vivre mère. Mais ce nom met aussi en scène quelque chose du désir d’un in‑fini, d’un au-delà des limites, d’un désir qui, s’il est éthique pour le sujet, ne l’est pas forcément pour la morale. Pire, pourrait-on dire. En devenant sujet désirant, elle excède la loi de Dieu, tout en réalisant le désir de Dieu, mais là aussi en l’excédant. Ainsi, avec Ève, la limite ne tient « pas-toute », jusque dans son rapport à « l’effet-mère » : elle se dit l’égale de Dieu dans l’ordre de la (pro)création, en évinçant du même souffle l’adam comme père de ses enfants[11].

Ève nous invite ainsi à regarder le féminin et chaque femme à partir d’une posture féminine, une structure, un « mode de jouir au féminin »[12]. Ève, c’est un pré-texte, celui du rapport à la vie, nécessairement manqué, manquant, à-venir : une vie, comme le dit Lucien Israël, qu’on ne peut lire que dans l’après-coup, et qui ne nous assure ni de notre être ni de notre avoir[13]. Du fait de sa posture de pas-toute, de manquante, Ève raconte l’histoire de chaque femme, une fois levée la chape qui chercherait à lui dénier sa part d’ex-sistence[14], autrement dit de cette existence « sur les bords », qui déborde du masculin, de l’universel, à la marge. Ève, c’est une histoire de différence fondée sur le manque, sur l’écart, qui questionne le rapport au manque, au féminin, mais aussi au maternel.

3.2 De l’effet-mère à la maternité subjective : « l’effet-mère »

Le texte présente donc Ève comme sujet-femme singulier dont l’effet-mère court, depuis l’origine jusqu’à la transmission de cet effet-mère sur chaque fille en devenir de femme. C’est aussi pour cela qu’Ève ne peut représenter les femmes qu’au singulier, une à une. Si chaque femme est une Ève, c’est en tant que chaque femme a devant elle sa propre route de sujet-femme à tracer, y compris du côté de son désir de se vivre mère à son tour – ou pas. Et c’est depuis la faille du féminin, de ce lieu subjectif et intime, que chaque femme est confrontée au maternel et à la maternité, lieu d’une nouvelle faille : comment se vivre à la fois femme et mère, y compris par la négative ? Cela pose aussi une autre question : qu’est-ce que cela fait à une femme d’avoir des filles ? Cette question est laissée vacante dans le texte, puisque, dans le texte biblique, Ève ne donne naissance qu’à des hommes. Pourtant, des filles et des femmes surgissent en Gn 4 puis 5, soit littéralement de nulle part. Ou bien est-ce « d’ailleurs », du champ, comme le serpent ? Pourtant, comment s’en étonner, si la femme est manquante, et lieu d’une faille irréductible ? Ou serait-ce qu’Ève, en refusant à l’adam d’être père, aurait laissé à l’effet-mère toute la place, obligeant chaque fille à venir à devoir tracer sa route hors du champ maternel ?

Cela pose incidemment, en creux, la question de la transmission du féminin pour une fille en devenir de femme. Le texte, écrit par des hommes, n’en parle pas, sinon dans un saut incomblable. N’est-ce pas pour souligner à quel point, en effet, du rapport mère-fille un homme ne peut rien dire ? Mais cela raconte aussi la difficulté, en tant que fille, de s’énoncer femme à partir de la mère, autant que de s’énoncer mère autrement que sous l’angle de la fonction maternelle et souvent au prix de l’exclusion du signifiant femme. Autrement dit, comment être à la fois femme, mère et sujet désirant ? De là, comment s’énoncer femme face à sa propre fille quand, entre les deux, la figure de la mère est à risque de prendre toute la place. L’irruption, au chapitre 4 de la Genèse, de femmes dont rien n’est dit de leur origine n’inscrit-il pas un effet de coupure et d’étrangeté qui vient signifier quelque chose de la nécessité pour chaque fille de faire coupure avec la mère, d’avoir à rechercher ailleurs que dans la figure de la mère de quoi accéder à son être-femme ? Cela ne parle-t-il pas d’un ailleurs qui se situerait, dans un autre champ, à la marge, du côté d’un féminin singulier ? Ève, comme métaphore du manque et du féminin, nous rappelle que le féminin ne peut se faire qu’à partir d’un lieu qui « dé-faille »[15]. Ces questions sont portées par d’autres femmes, comme par exemple Marie-Magdeleine Lessana[16], Vanessa Brassier[17], ou Marie-Hélène Brousse, qui travaillent la question du féminin dans son rapport au discours de l’Autre, comme lieu dé-faillant auquel sont confrontées les filles dans leur chemin de femme. Quant au maternel, qu’en est-il, pour une femme, de son désir d’être mère, comme du ravage dans son propre rapport à la mère ? Autrement dit, comme se dire femme, sinon en passant par une identification à une autre femme qui ne peut être abordée que comme mère, et dont le sujet désirant reste barré ? Cela met sur la piste d’une trajectoire qui n’est pas étrangère à la question du vide et d’une jouissance Autre : à partir d’un dire féminin qui échappe au discours, au sens du discours courant, un discours dont les mots ne peuvent que se mi-dire, défaillir.

4. En conclusion : inter-prêter

Mon analyse théologique du second récit de création et ses réceptions, ancrée dans une logique discursive, permet de montrer qu’un récit biblique, comme celui de la Genèse, est un texte vivant qui reste encore à lire, à « inter-prêter », et dont l’interprétation ouvre autant de lieux de discussions prêtant à discussions. En effet, il s’agit bien pour chacun, subjectivement, d’emprunter ces textes pour les mettre à l’épreuve de l’Autre, tout comme ce texte et ses réceptions restent une opportunité vivante de réfléchir en écart du regard que des hommes posent encore trop souvent sur les femmes et le féminin. La logique discursive de ma démarche a aussi une portée théologique, puisqu’elle m’a amenée à soutenir Ève comme sujet-femme qui réalise le désir de Dieu, nécessairement en l’excédant. Relever que Dieu est animé d’un désir de vie à venir, à partir du manque, du côté du pas-tout-seul, me permet de soutenir que la femme n’est pas un ajout de convenance, ou une nécessité biologique. Elle représente le lieu qui, comme Dieu, ne se referme pas, qui depuis toujours déborde, si on admet de lire son inscription du côté du manque. Ultimement, le récit parle bien de vie : il faut que ça manque pour que du désir surgisse, pour que de la vie surgisse.

Reste un angle mort, qui a été soulevé lors de la soutenance : qu’en est-il de l’adam, comme homme ? Si ma thèse a travaillé la question de la femme et du féminin, c’est précisément qu’elle a été perçue dans les commentaires comme faille, sans que cela soit nommé ainsi, cette faille de la chair qui a fait tant couler d’encre du côté du péché originel. Incidemment, elle est aussi la représentation de la chair « faible », ce lieu des passions si cher à Augustin par exemple, ce lieu du surgissement du désir qui nous agite à notre insu, loin de notre volonté. Or, c’est encore et en-corps quelque chose d’une échappée dont il est question, et qui nous touche comme humains, corps parlants. Sur ce versant, la fragilité, la vulnérabilité et la force du désir ne concernent-elles pas autant les femmes que les hommes ? En ce sens, la femme ne représente-t-elle pas ce qui précisément, fait faille en chacun de nous, humain ?

[1] Lydwine Olivier, Ève, du manque au sujet-femme : une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions, Thèse, Université de Montréal, 2020, https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/26266.

[2] Voir, Guy-Robert Saint-Arnaud, « Après-coup : théologie et psychanalyse, que dit l’une au sujet de l’autre ? », Théologiques, vol. 10/2, 2002, p. 159-216, URI: http://id.erudit.org/iderudit/008887ar, et Guy-Robert, St-Arnaud, Jésus christ, lieu de parole et de langage : Problématique de la personne, Mémoire de maitrise, UQAM, 1987, p. 127s.

[3] Marie-Ève Garand, Sectaire et « inter-dit ». Introduction de la dimension du croire dans l’écoute du dire des personnes ayant vécu une expérience sectaire, Université de Montréal, 2013 : https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/10137.

[4] Christian Dubuis Santini, Série Lacan, nous et le réel, YouTube.

[5] Fernando Silveira Rosa, Écriture du réel aux frontières de l’expérience mystique : lecture psychanalytique et théologie thérésienne, Thèse, Université́ de Montréal, 2020.

[6] Françoise Dolto, Au jeu du désir, Seuil, 1981, p. 272.

[7] En cela, ma thèse utilise des concepts psychanalytiques tels que Freud et Lacan les développent.

[8] Delphine Horvilleur, Le rabbin et le psychanalyste, Hermann, 2020, p. 25-26.

[9] Gn 3:14-15, traduit sans la faute grammaticale : « Yhwh Dieu dit au serpent : À cause de ce que tu as fait, maudit sois-tu parmi tous les animaux et parmi tout le vivant des champs. Sur le ventre tu iras, et de la poussière tu mangeras tous les jours de ta vie. Je mettrai la haine entre toi et la femme, entre ton lignage et son lignage. Il te broiera la tête, tandis que toi, tu lui broieras le talon ». C’est moi qui souligne.

[10] Voir Jean Calloud : « Bien des lecteurs sont victimes d’une idée reçue selon laquelle la création progresse par production de réalités aptes à remplir un vide, selon laquelle la femme répondrait au titre d’"objet" au manque diagnostiqué en l’homme. Les textes disent le contraire : le mouvement créateur va du tout initial indifférencié vers une profusion démultipliée. C’est effet de la différenciation et la dégradation progressive du tout qui est jugé "bon". Ce qui affecte l’homme, sous la figure de la solitude, est identiquement le fait d’être complet, de ne pouvoir envisager l’éventualité d’une aide, d’une Autre. En jouant sur les possibilités de la langue française, disons : "il n’est pas bon que l’homme soit TOUT… seul" », Jean Calloud, « Pour une analyse sémiotique de la Genèse 1 à 3 », dans L. Derousseaux (dir.), La création dans l’Ancien Orient, Congrès de ACFEB, Lille, 1985, Cerf, 501‑513 p. 506 ; et Lydwine Olivier : « Sa prise de parole nous explique ce à quoi il est lui-même confronté, ce qu’il découvre : la solitude de l’humain, une solitude qui dit en même temps le risque d’un enfermement mortifère sur soi », Lydwine Olivier, Analyse processuelle de Genèse 2:4b‑25 : incidences herméneutiques et théologiques, Mémoire de maitrise, Université de Montréal, 2009.

[11] « En annonçant qu’elle a co-créé – et non simplement enfanté — et que cet acte est conjoint avec Dieu et non avec Adam, qu’elle ne reconnait aucunement comme le père de ses enfants, Ève énonce son choix éthique de sujet femme face à son rapport, lui aussi subjectif, à la maternité. Ce qu’elle voulait être (comme Dieu), elle a cherché à l’avoir (avec Dieu) en devenant comme lui. Mais son acte de création est double : elle co-crée dans son corps et dans son énonciation, en parole et en acte. Pour la femme, le verbe se fait chair, comme Dieu ». Lydwine Olivier, Ève, du manque au sujet-femme…, p. 317.

[12] Marie-Hélène Brousse, Mode de jouir au féminin, Navarin, 2020.

[13] Lucien Israël, Le désir à l’œil, Arcanes, 1994, p. 61.

[14] Le terme ex-sistence, introduit par Lacan, est ce qui caractérise le réel, comme ce qui reste toujours étranger, extérieur. « Cette forclusion du [nom-du-Père] met au premier plan le réel et fait passer du couple parental, archétype de la dimension symbolique, au nouage à trois, de l’ordre du réel. Le nœud […] ex-siste, mais n’est pas démontrable, il montre. Il montre que, comme sujet, ce qui nous possède n’est rien d’autre qu’un désir et qui plus est le désir de l’Autre, désir par quoi nous sommes tous d’origine aliénés. C’est sur cela qui "n’a nulle essence" que porte le nœud [...] qui "nous ex-siste" » Marie-Hélène Brousse, Mode de jouir au féminin, p. 41.

[15] En tant que faille, mais aussi en tant que ce qui dé-faille, puisqu’en reliant la femme et la fille dans une posture féminine, la maternité subjective fait lien : la coupure devient lien.

[16] Marie-Magdeleine Lessana, Entre mère et fille: un ravage, Hachette, 2009.

[17] Vanessa Brassier, Le ravage du lien maternel, Harmattan, 2013.