De la prise en compte du besoin spirituel à une écoute du croire : une trajectoire d’écoute différentielle, par Marie-Ève Garand

Marie-Eve Garand

La pensée historique et politique du 20e siècle et 21ème siècle a vu naître les concepts de religions séculières, de religion civile et de « religion politique », qui montrent le développement de la pensée en regard de la place du religieux. Selon Marc Angenot, chacune de ces notions signe le passage d’une société religieuse à une religion d’État qui se constitue autour d’institutions civiles et séculières. De son point de vue, le principe de laïcité serait précisément né du refus d’une religion séculière[1]. Si nous avons refusé l’instauration d’une religion d’État, cela n’empêche pas les institutions civiles de vouloir donner à croire. En fait, force est de constater avec Michel de Certeau que nos sociétés modernes sont frappées par une crise du croyable. Cette crise n’est pas d’abord une crise religieuse liée au déclin des institutions ecclésiales, mais bien une crise séculière qui concerne toutes les institutions sociales traditionnelles, politiques, religieuses ou sociales[2]. Cette crise séculière et institutionnelle est, selon Certeau, directement liée à la position de plus en plus technique des institutions, qui imposent l’homogénéisation de l’esprit et perdent de leur crédibilité en réduisant leur discours à un énoncé technique. Cela produit un ordre social qui ne retient pour vrai que ce qui est démontrable et qui a pour effet d’épuiser le croire sur lequel se fonde pourtant le lien social.

Dans cette crise généralisée du croyable, le langage religieux devient de plus en plus incroyable. C’est-à-dire qu’il se trouve réduit à un objet de savoir. En tant que tel, il est dépouillé de sa substance pour être interprété dans une logique qui n’est plus la sienne, par des autorités pour qui il est plus utile qu’insignifiant[3]. De fait, les énoncés croyants et les questions qu’ils supportent parlent dans le vide et deviennent insaisissables. Ainsi, loin d’être compris comme des énoncés vrais soutenus par quelqu’un qui s’y révèle, le dire des croyants est entendu comme un produit ou un élément d’organisations sociales, psychologiques et historiques. Dans cette logique dite scientifique, le discours des croyants représente autant qu’il renvoie aux, sciences qui parlent de la croyance en réduisant le dire à des énoncés croyants incroyable.

Comme nous le montrerons, cette réduction de la croyance oriente tout un champ d’intervention qui réfère aux notions de spiritualité laïque pour construire une écoute et une compréhension du besoin spirituel[4]. Cette approche, développée entre autre dans des institutions universitaires et dans des centres de counseling, est maintenant présentéecomme un besoin fondamental de l’humain[5] auquel doivent répondre les institutions de soins[6]. Si, dans l’horizon des soins il est devenu commun de traiter la spiritualité comme un besoin, il importe de considérer que ce besoin n’est plus exclusivement l’affaire des théologiens. En fait, cette notion est reprise par différents spécialistes dont les médecins, les infirmières, les psychologues, les psychoéducateurs et les travailleurs sociaux pour procurer un mieux-être, ou un bien-être aux personnes. L’élargissement de la notion de spiritualité à celle de besoin est problématique et, nous semble-t-il, doit interpeler le champ de la théologie. En effet, lorsque la spiritualité est réduite à un besoin, le discours sur celle-ci n’est-il pas sans cesse à risque d’être instrumentalisé en vue de servir des intérêts extérieurs ? Lorsque la croyance, spirituelle ou religieuse, est instrumentalisée à des fins thérapeutiques[7], est-il encore possible de chercher à entendre et à comprendre le discours d’une personne dans sa logique propre ? L’homologie entre la spiritualité et la thérapeutique[8] qui se construit au niveau du soin ne risque-t-elle pas d’annuler la spécificité de chacun de ces champs pourtant différents de l’humain ?

Cette orientation, qui se dessine dans les discours modernes entourant la spiritualité laïque et le besoin spirituel, nous interpelle à double titre. D’abord, du point de vue de notre pratique au CÉINR[9] : nous travaillons avec des personnes qui ont vécu des expériences sectaire et dont la spiritualité a été qualifiée de pathologique et d’addictive. Comment concilier la nécessité de prendre en compte les besoins spirituels pour soigner les personnes qui font appel à nos services siles besoins spirituels sont d’emblée posés comme étant pathologiques dans le champ d’étude du sectaire ? Une telle orientation tend à dessiner une forme de normalisation de la croyance acceptable. Une croyance devient bonne si et seulement si, elles permettent de soigner les personnes est considérée comme pathologique, si elles sont vécues à d’autres fins.

Ensuite du point de vue théologique. A notre grande surprise, plusieurs théologiens ont abondé dans le sens d’une efficace spirituelle. D’ailleurs, nombre de Facultés de théologie offrent des programmes de counseling pastoral ou de soins spirituels où la spiritualité semble d’emblée présentée comme un besoin constitutif de l’humain. Comment expliquer une telle orientation dans des Facultés, qui, pourtant, ont toujours refusé que la religion ou la spiritualité soient réduites à une fonctionnalité culturelle et sociale ? À notre avis, il apparait important de prendre le temps de questionner cette contradiction, et de mettre au jour des écueils méthodologiques et éthiques que recèle une notion de spiritualité laïque qui repose sur une compréhension de la spiritualité comme besoin humain.

Prenant en compte cette double interpellation, le présent article propose une réflexion théologique sur la prise en compte de la croyance. Plus particulièrement, il s’agit de questionner la réduction de la vie spirituelle à l’ordre du besoin, et présenter une approche différente de la prise en compte de la croyance, ce que nous avons appelé l’écoute du sujet à croire sur parole. Cette orientation veut permettre d’ouvrir la réflexion et le dialogue sur la manière dont nous pouvons aujourd’hui, comme théologien, nous mettre à l’écoute de la quête de sens de nos contemporains, sans extraire cette recherche de sa logique propre. Notre approche, théologique, propose de se mettre à l’écoute des discours sur et autour de Dieu pour mieux cerner les contours de cette quête de sens. Cette compréhension de la théologie découle de notre lecture étymologique de ce terme. En effet, la théologie vient de deux mots grecs : theos et logos. Si le theos renvoie à Dieu, la notion de logos est plus ambigüe. Elle renvoie à la fois aux termes de raison et de parole. En effet, dans la philosophie platonicienne, le logos est considéré comme la raison du monde, comme contenant en soi les idées éternelles, archétypes de toutes choses. C’est un concept à la fois rationnel et oratoire, puisque dans l'art rhétorique, le logos relève de la démonstration, de la raison et de l'argumentation. En théologie, le logos se présente le verbe, la parole : l'origine de cette désignation vient de la Bible, dans l’évangile selon saint Jean, chapitre 1 : « Au commencement était la Parole (logos), et la Parole (logos) était avec Dieu, et la Parole (logos) était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes »[10].

Suivant cette orientation, nous définissons ici l’acte théologique comme l’acte consistant à se mettre à l’écoute des paroles sur, mais aussi autour de Dieu, ainsi que des discours sur la religion et sur la spiritualité, en vue d’en rechercher une logique. Une telle approche est dite discursive. Notre approche consiste donc à prêter l’oreille aux discours qui entourent le champ de la croyance, non seulement pour en extraire une logique, mais aussi pour en dégager des enjeux éthiques et méthodologiques en vue de fonder les prémisses d’une écoute du croire dans le champ de la théologie. Cette définition et cette méthodologie vont à l’encontre d’une spiritualité qui serait un besoin, car, si nous acceptons l’idée que la spiritualité se réduit à un besoin dont la prise en compte peut être mise au service des soins et de la thérapeutique, comment alors, comme théologienne, mais aussi comme intervenante dans l’écoute du croire, contribuer à une réflexion sur ce qu’il en est du fondement même du croire, de ce qu’il en est de l’acte de croire, comme acte de sujet ? Accepter de réduire la spiritualité à un besoin nous condamnerait à écouter le besoin comme le ferait n’importe quel intervenant social. Cette posture nous empêcherait même d’oser poser la question de savoir si la spiritualité peut avoir une source autre que celle du bio-physiologique, d’où émerge le besoin. Elle nous obligerait aussi à y répondre selon cet ordre plutôt que de chercher à entendre et à comprendre l’articulation signifiante d’une parole d’où peut se révéler un sujet, non seulement à croire sur parole, mais dans sa logique propre. Or, faire théologie, n’est-ce pas précisément ouvrir un espace de réflexion et de dialogue au lieu où du croire peut se mettre en acte dans une logique singulière, là où le verbe se fait chair ? 

Notre démarche se structure en trois temps. Dans un premier temps, il s’agit de cerner les idéaux et les illusions que ce terme recèle au travers la relecture de textes fondateurs. Dans un second temps, nous explorerons, à partir des travaux de Freud sur la croyance, comment la notion de désir ouvre une perspective d’écoute différente. Cela nous permettra de dégager des repères éthiques concernant à l’écoute d’une expérience de croyance. Le troisième temps présentera l’écoute du croire pris dans notre optique théologique, à savoir comme un mouvement fondamental du sujet parlant. En « dit-cernant » au plus près ce qu’il en est du discours autour de Dieu, de la spiritualité ou de la croyance telle que ces dimensions sont dites par un sujet, serait-il possible d’ouvrir un espace pour que du sujet à croire sur parole puisse émerger ?

 

1)    Traitement de la spiritualité en modernité : d’une spiritualité pathologique à une spiritualité saine ; le besoin spirituel en questions.

Le terme de spiritualité relève d’une réalité polysémique parfois source de confusion. Cette confusion serait attribuable au fait qu’en modernité, la spiritualité renvoie à une expérience individuelle d’intensité variable qui peut être définie de multiples façonsParmi les définitions qu’on peut trouver, certains aspects ressortent : 1) Elle évoque une expérience mystique profonde, 2) elle inclue des sentiments communs et accessibles, (par exemple l’émerveillement éprouvé lors d’une excursion dans la nature), 3) enfin, elle serait une tentative d’unification de l’être. Malgré des contours un peu flous en raison des multiples repères mis de l’avant pour la décrire, un point commun apparaît dans les différentes conceptualisations de la spiritualité laïque : elle est inévitablement présentée comme un besoin constitutif de l’être humain qui cherche à unifier son expérience de vie dans la réalisation et le dépassement de soi[11].

Il est paradoxal de constater que la notion de spiritualité est présentée comme un besoin universel auquel pourrait répondre autant les sectes, les religions et les quêtes de sens individuelles, que les intervenants en soins spirituels, les psychologues, les infirmières, voire même les médecins. Un peu comme si, par le fait même que le discours puisse lier spiritualité et besoin, il devenait possible d’articuler spiritualité et individu en organisant la gestion de ce besoin hors du champ du religieux, pour le resituer dans l’horizon de la santé, pour la mettre au service du soin.

Ici, il importe d’être prudent. Car déplacer la notion de spiritualité hors du champ du religieux ne veut pas dire hors du champ de la croyance. Or, comment expliquer que la croyance se construit maintenant sur des bases et des repères scientifiques ? Certes la volonté avouée de chercher une voie d’humanisation des soins peut expliquer ce déplacement. Mais humaniser les soins veut-il pour autant dire introduire un espace pour que du sujet puisse advenir ? La spiritualité élevée au rang de besoin n’est-elle pas plutôt à risque de se retrouver dépouiller de sa structure humaine subjective pour se trouver réduite à une efficace thérapeutique?

Ces craintes ne sont pas que théoriques. Actuellement nous assistons à un courant de recherches en psychologie et en neurologie qui tente de démontrer que la spiritualité a un pouvoir de guérison qui serait mesurable et quantifiable. Par exemple, Paul Mueller, Davis Plevak et Teresa Rummansinsistent avant tout sur le fait que les besoins spirituels des gens augmentent à l’annonce de maladie. Prendre en charge ces besoins pourrait accroître leurs chances de guérison[12]. Un autre chercheur, Harold Koenig, montre dans son étude quantitative que la spiritualité aurait aussi une visée préventive. Les personnes qui ont une pratique spirituelle auraient semble-t-il, un style de vie plus sain. En disposant d’une meilleure santé physique et psychique, ces personne feraient moins appel aux soins de santé, disposeraient d’une meilleure santé physique et mentale, et réagiraient mieux au stress. Faut-il alors prêter des vertus thérapeutiques à la spiritualité, que l’on pourrait mesurer et quantifier[13] ? Qu’advient-il alors des expériences spirituelles qui n’apportent pas d’emblée un mieux-être, par exemple les crises spirituelles ? 

Mais, étrangement, si la spiritualité est présentée par les uns comme un besoin qui, une fois comblé, peut contribuer à la guérison et au bien-être des personnes, pour d’autres, ce même besoin spirituel est présenté comme une composante pouvant produire une addiction. Ainsi, certains auteurs, tels Bernard Chouvier[14] et Jean-Yves Roy[15], présentent le sectaire comme une dérégulation de la vie spirituelle que la clinique propose de réguler par une intervention psychiatrique. Dans cette logique, le renversement d’un rapport au croire sain à un rapport au croire pathologique se produirait lorsque la quête spirituelle se transforme en besoin! Selon ces perspectives, le besoin spirituel est pathologique en soi, puisqu’il proviendrait de souffrances passées. Ici, les croyances, vécues sous l’angle du besoin, sont posées comme nécessaires et non comme un possible. Énoncées en termes de besoin, les expériences spirituelles ne relèveraient plus d’un choix ou d’un vécu personnel, mais d’une dépendance. Selon les auteurs consultés, lorsque la spiritualité est recouverte par la notion de besoin, elle s’opposerait à l’autonomie et à la liberté, une notion pourtant fondamentale de la laïcité. Par ailleurs, le caractère de nécessité de la spiritualité découlerait du fait que la spiritualité relèverait d’un besoin par le fait qu’elle émergerait d’une souffrance passée ou actuelle. En créant une satisfaction illusoire qui permet de calmer la souffrance par la production d’états altérés de conscience ou des effets sensitifs extatiques capables de « geler »[16], la spiritualité serait comparable à une drogue. Ainsi, d’après cette théorie, c’est parce que les croyances pourraient combler le manque produit par la souffrance que certaines quêtes spirituelles seraient vécues sous le mode de l’assuétude, de la dépendance.

Sans aller plus loin dans cette perspective spécifique de l’addiction religieuse[17], il fallait cependant mentionner cette conceptualisation présente dans les discussions entourant le sectaire, car elle pose des questions majeures en ce qui concerne la gestion du besoin spirituel. Alors que, dans l’horizon de la santé, il faut répondre aux besoins spirituels des personnes malades ou souffrantes, du point de vue social, le même besoin est présenté comme une source de dépendance. Comment comprendre qu’un même besoin puisse être compris tantôt sous le versant de la santé, tantôt sous le versant de la pathologie ? La mise au jour de ce hiatus pose directement la question de l’intervention auprès des personnes,  sous deux aspects différents.

Premièrement, il s’agit de savoir si la dimension spirituelle est vraiment une dimension humaine qui ne peut prendre sa source que dans la souffrance. Par exemple, est-ce que le besoin spirituel, si tant est que la spiritualité se réduise à un besoin,  pourrait se construire en lien avec l’esthétique ou l’amour ? La question a son importance, car elle concerne le statut de la vie spirituelle. Que l’on pose la question de savoir si la souffrance est une source de la vie spirituelle ou un problème de la vie spirituelle, la question qui reste est celle de savoir si la spiritualité ne peut se construire que dans un rapport exclusif à la souffrance.   Comment la vie spirituelle peut-elle orienter la guérison des personnes, si elle est en même temps un produit du malheur et de la souffrance? Une telle compréhension signifierait que les intervenants en soins spirituels proposeraient aux malades une recherche de sens qui passe par l’irréel, par l’illusion ?

Deuxièmement, il s’agit de questionner les prémisses qui permettent de réduire le besoin spirituel à une dimension trouvant sa source dans la souffrance. Les avancées de la recherche qui empruntent une voie montrant que la spiritualité peut devenir soit pathologique, soit un chemin de guérison, interrogent directement la posture de celui qui écoute ou accompagne l’être qui se dit souffrant, car cette voieintroduit la dimension du sens. Par exemple, sur le registre de l’écoute, qu’est-ce qui distinguerait un accompagnement à risque de devenir une accoutumance, d’un accompagnement ayant des vertus de guérison ?

Ce bref parcours montre que lorsque la spiritualité est appelée à intervenir au lieu de la souffrance psychique, le sens qui s’en dégage sert à combler un besoin, mais aussi à accompagner l’individu souffrant en l’aidant à trouver un sens dans ce temps de chaos. Dans un cas comme dans l’autre, l’instrumentalisation de la spiritualité conduit à donner un sens au parcours de l’autre. Cependant, donner un sens à la souffrance n’équivaut pas nécessairement écouter, ni entendre. Mais alors comment, dans une logique de production de sens, préserver l’articulation signifiante de la raison croyante, qui trouvait son sens dans une logique théologique, sans la réduire à une efficacité thérapeutique, tout en préservant la dimension éthique et existentielle dont est porteuse la spiritualité ?

 

1.1-       De l’homme-dieu au cœur de la vie spirituelle moderne à l’expérience subjective du Tout : la spiritualité laïque

 

Les liens entre spiritualité et santé qui se dessinent en modernité, sous l’angle du besoin, interrogent les normes et les valeurs que recouvre le terme de besoin. Pour mieux situer en quoi la spiritualité élevée au rang de besoin peut devenir une source de normalisation, il importe de retourner à la manière dont s’est développée cette notion afin de cerner l’idéal sous-jacent. Deux philosophes, Luc Ferry et André Comte-Sponville, ont proposé d’articuler la notion de spiritualité laïque. Leur concept à la source d’une gestion de cette dimension dans nos états laïcs et dans nos milieux médicaux.

Luc ferry, un auteur majeur pour les tenants de la spiritualité laïque estime que, pour donner un sens aux expériences de l’existence, à la souffrance, à la mort, à l’amour, au bien et au mal, l’homme moderne a besoin de transcendance. Cette transcendance moderne serait une révélation qui partirait de l’homme lui-même et à laquelle l’humanisme donnerait sens. Parce que la spiritualité moderne parle de l’expérience de l’homme, elle serait une spiritualité authentique, enracinée dans l’homme, faite pour l’homme et par l’homme. C’est-à-dire que, pour lui, ce qui rend possible la spiritualité laïque, c’est l’homme-dieu[18], une pensée qui émergerait directement du christianisme. Le message du christianisme, humanisé par Jésus, un homme exceptionnel mais humain, aurait permis l’inscription d’une logique de l’amour dans nos sociétés occidentales. Autrement dit, avec Jésus, l’amour serait devenu l’affaire des hommes. L’humanité serait ainsi entrée dans l’ère de la raison, mais une raison désenchantée marquée par la peur de la mort. Cependant, parce que le message d’amour du christianisme a gagné, et que l’amour est devenu l’affaire des hommes, il est possible, selon Ferry, de réagir à cette peur, voire de redécouvrir une existence libérée de la peur, en développant une spiritualité laïque tournée vers le respect de l’autre, de la raison et de la liberté.

Cette réinterprétation du christianisme dans une vision humaniste conduit Luc Ferry à postuler que l’homme-dieu est le point de départ et l’efficacité propre du processus de spiritualité à partir duquel l’homme, conscient de sa mort, peut émerger, dans un mouvement de conscience délivré des dogmes imposés de l’extérieur : « La spiritualité authentique est débarrassée de ses oripeaux théologiques, elle est enracinée dans l’homme et non dans la représentation dogmatique »[19]. Pour cette raison, elle se présenterait comme une ouverture raisonnable à une universalisation concrète. Ainsi, la spiritualité proposée par Ferry n’est plus habitée par un désir mystique d’éternité, mais soutenue par un désir d’élargir la dimension du monde et de l’histoire en regard des exigences modernes de la transcendance, qui serait « donnée, hors de tout argument d’autorité, dans l’immanence du vécu subjectif et à partir de lui »[20]. Cette prémisse le conduit à différencier spiritualité et religion : la religion impliquerait un rapport d’extériorité avec des autorités religieuses et des dogmes, alors que la quête spirituelle répondrait aux exigences de liberté et d’autonomie.

Pour sa part, André Comte-Sponville propose de construire la spiritualité laïque moderne dans une perspective philosophique. Ce déplacement serait rendu possible parce que, de son point de vue, la spiritualité laïque concerne le cœur de la nature humaine et contribue à l’humanisation de l’esprit. En tant que tel, elle aurait comme propriété de mettre l’esprit en rapport avec l’infini, l’éternité et l’absolu. Elle nourrirait l’esprit de sensations, d’émotions et de silences et ouvrirait à une nouvelle dimension de la vie. Cette compréhension le conduit à décrire l’expérience spirituelle laïque comme un « sentiment océanique »[21], qui se définit comme : « […] l’expérience d’une intériorité (mais qui ne me contient pas, et que je ne contiens pas), d’une immanence, d’une unité, d’une immersion, d’un dedans »[22]. La spiritualité laïque conduirait aussi à vivre l’expérience de la suspension du manque sous toutes ses formes, et non pas seulement comme manque de soi et de désir[23]. Ainsi, toutes les interrogations, toutes les questions, tous les problèmes non résolus ne se poseraient plus dès lors que l’être de l’humain devient « un avec le tout »[24].

Comme on peut le constater, le développement de la spiritualité laïque concerne la dimension expérientielle de la vie, de l’esprit et de la subjectivité humaine. Dans les perspectives des auteurs consultés, la spiritualité laïque est présentée en tant qu’expérience de l’être, divinisé ou non, mais dans tous les cas comme une expérience qui s’enracine dans le besoin universel de sens ultime. Elle s’expérimente dans l’émotivité d’une expérience subjective du moi. Ainsi, comme amalgame de la vie intérieure, de la vie de l’esprit et de l’émotion, la spiritualité laïque est présentée en tant que recherche immédiate et fusionnelle avec l’évènement fondateur. L’expérience spirituelle laïque vise l’absolu totalisé et se fait très près du sentiment océanique d’un Romain Rolland.  Mais, quelles illusions, pour reprendre ici le terme freudien[25], recèlent le retour d’une spiritualité universelle qui se propose comme l’expérience ultime d’une quête de sens ?

 

1.2. L’expérience spirituelle laïque, un repli imaginaire servant l’idéal global ?

Malgré des visions différentes de la spiritualité laïque, Luc Ferry et André Comte-Sponville construisent chacun une spiritualité laïque en distinguant la vie spirituelle de la religion. Les religions seraient des institutions destinées à répondre aux besoins spirituels en les maintenant sous un carcan dogmatique et moralisateur, voire sous le joug de l’idée de Dieu. À l’inverse, la spiritualité laïque serait la voie par laquelle l’expérience subjective pourrait se libérer et laisser place aux pleins potentiels de l’être. Ce déplacement n’est pas sans effet, puisqu’il n’est possible qu’au prix d’une réduction de la vie de l’esprit à une fonction expérientielle purement subjective, qui participe à la sacralisation d’un salut expérimenté au présent dans un vécu immédiat du Moi. Suivant cette orientation, seule l’expérience de l’émotion compte, puisque seule cette dimension est considérée comme vraie.

Le philosophe Slavoj Žižek développe une critique sans concession de ce qu’il définit comme le mirage d’une spiritualité spéculaire issue d’une spiritualité qui se sépare du religieux. De son point de vue, la spiritualité laïque ouverte à l’expérience est le symptôme par excellence d’une conscience qui croit pouvoir se comprendre elle-même. En accentuant l’importance des sentiments, de l’identité personnelle, de la conscience de soi et de l’émotion, la spiritualité tous azimuts attiserait l’imagination pour mieux servir l’idéologie dominante capitaliste :

L’un des effets les plus déplorables de notre époque postmoderne et sa prétendue « pensée» tiennent au « retour du religieux» sous toutes ses formes : des intégrismes chrétiens et autres, en passant par la multitude des spiritualismes New Age, jusqu’à l’émergence d’une sensibilité religieuse au sein de la déconstruction elle-même autoproclamée pensée « postséculaire ».[26]

Selon lui, l’émergence de la spiritualité moderne serait rendue possible en raison de la confusion qui s’insinue entre la culture de soi, le souci de soi et l’expérience spirituelle. L’indistinction de ces notions reposerait sur une conception romantique de l’amour agape qui se prétend mystique, mais qui participerait en fait à une mystification de l’esprit. En fait, la spiritualité officiellement laïcisée n’échapperait pas au spectre obscène de la matière spiritualisée, ce dont témoigne la matérialisation dans des « pseudo-matières a-substantielles »[27] (fantôme, mort vivant, chakra, esprit). Comme le souligne Žižek, la présence de plus en plus fréquente de ces matières participerait à l’essor du marché du religieux, aux plaisirs post-modernes vécus à l’aune du relativisme contemporain, dépourvu de passion et de désir en raison de sa préférence pour les cadavres plutôt que pour les vivants[28].

Pour cette raison, le philosophe postule que la spiritualité moderne, comme les croyances qui la constituent, participent autant qu’elles soutiennent l’idéologie dominante capitaliste. Selon lui, les croyances modernes issues de la laïcisation de la spiritualité ne peuvent s’inscrire dans un rapport de responsabilité  face aux phénomènes qui structurent notre vision de la vie, puisqu’elles ne permettent pas d’accéder au symbolique, un registre qui nécessite de définir un Autre que nous-mêmes. Parce que l’Altérité véritable fait défaut dans nos représentations collectives, l’humain se replierait dans un monde imaginaire où tout semble se fondre pacifiquement dans un Moi qui ne trouve plus rien à faire ou à penser, mais qui doit ressentir. La réalité virtuelle généraliserait ce principe, qui consiste à offrir un produit vidé de sa substance, privé de son noyau de réel, de résistance matérielle. Tel le café décaféiné qui a le goût et l’odeur du café sans en être vraiment, la croyance serait devenue, en modernité, vidée de sa substance : on croit sans vraiment y croire, sans s’engager, sans déranger :

Ce à quoi la tolérance politiquement correcte nous conduit est une croyance décaféinée : une croyance qui ne blesse ni n’engage personne et encore moins nous-mêmes. Tout est permis aujourd’hui au dernier homme hédoniste : profitez de tous les plaisirs, mais à la condition qu’ils soient privés de la substance qui les rend dangereux.[29]

Il poursuit en affirmant qu’au sein d’une société de plus en plus aseptisée, où tout enjeu politique finit par être exclu, où toute croyance finit par être vidée de sa substance, le risque est que l’humain se laisse de plus en plus aller à l’« interpassivité ». Lorsque le monde est virtualisé et que plus rien n’a de sens, en effet, les hommes renoncent progressivement à toute forme d’interactivité avec le réel. C’est dans cette logique que Žižek en vient à construire un véritable plaidoyer en faveur de l’intolérance, en critiquant de manière parfois féroce l’idéologie multiculturalisme libérale de la tolérance, qui aurait pour effet de niveler toutes les idées au profit d’un monde totalement désidéologisé :

Le multiculturalisme, naturellement, est la forme idéale de l’idéologie de ce capitalisme planétaire, l’attitude qui, d’une sorte de position globale vide, traite chaque culture locale à la manière du colon traitant une population colonisée – comme des indigènes, dont les mœurs doivent être précautionneusement étudiées et respectées.[30]

Marc Angenot abonde dans le même sens quand il affirme que la spiritualité moderne, qui propose de réenchanter le monde, relève d’une néo-crédulité qui prend forme dans une civilisation marquée par le déclin de la pensée critique. De ce point de vue, dans un contexte où l’information est confondue avec la connaissance, et où le relativisme et le culturalisme s’entendent pour désavouer la raison, les métamorphoses du croire ne peuvent qu’annoncer le passage de la croyance à une crédulité spirituelle servant les intérêts du marché. D’ailleurs, les crédulités spirituelles modernes seraient, selon lui, concomitantes avec l’avènement d’économies fondées sur des pratiques néo-tantriques, zen oriental, pratiques magiques, astrologiques, occultistes et satanistes, qui formeraient un nouveau marché irrationnel. En interprétant ces nouveaux marchés en tant qu’une décomposition régressive davantage que comme une reviviscence spiritualiste, Marc Angenot postule que l’avènement d’une telle spiritualité relève d’une profonde angoisse devant la perte des idéologies totales. Pour lui, il ne faut pas se réjouir, mais s’inquiéter d’un mouvement qui témoignerait d’une peur désormais dépourvue d’espoir[31].

Ces quelques considérations sur le contexte d’émergence et les enjeux sociaux que recouvre la notion de spiritualité laïque permettent de poser l’hypothèse que l’émergence de la spiritualité laïque coïncide avec un mouvement sociopolitique qui permet à la vie politique de se retirer du religieux, et à la spiritualité de s’en dégager, pour affirmer à la fois leur autonomie et leur affiliation avec l’individu moderne. Le rapport entre politique et spirituel serait-il inscrit dans un rapport de continuité de l’État avec la religion qui témoignerait d’une recherche de retour à une idéologie totalisante ? Ce serait un peu comme si la faillite du croire, qui traverse à la fois nos institutions politiques, économiques, religieuses, familiales et sociales, était combattue par la croissance d’une spiritualité laïque susceptible de soutenir le pacte social en proposant cette « humanisation de l’homme », dans une conception romantique de l’homme-dieu, un homme sans passion, sans pulsion, sans désir, tourné vers sa propre expérience intérieur. Un Moi qui, élevé au rang de Dieu, n’a plus besoin de Dieu pour le combler imaginairement : un Moi tout un, tout entier et autonome. L’autonomie du Moi qui va de pair avec son corolaire, la dépendance, ne sont-ils pas précisément les enjeux qui se dessinent autour de la notion de spiritualité ? N’est-ce pas précisément pour cette raison que l’intervention qui se structure autour et avec la notion de spiritualité pourrait orienter à la fois une lecture en terme de guérison et une en terme d’addiction ?

 

2-    Du besoin spirituel à la prise en compte du désir dans la croyance : perspective différentielle

 

Face à la tendance moderne qui consiste à réduire la spiritualité à un besoin, il importe d’être attentif à la manière dont cette réduction masque autant qu’elle dévoile une dimension fondamentale de la croyance : celle du désir. Les travaux de Freud sont, à cet égard, incontournables. Il peut sembler curieux de se référer à un texte de Freud pour trouver des repères éthiques et méthodologiques relatifs à l’écoute d’une expérience de croyance, d’autant que Freud a acquis au fil du temps la réputation d’être un farouche anti-religieux! Pourtant, si Freud a eu ses histoires avec le religieux, ses textes tracent des repères majeurs en ce qui concerne l’écoute d’une expérience de croyance. Pour cette raison, il nous apparaît essentiel, de porter attention à la manière dont la perspective freudienne permet d’orienter l’écoute et l’interprétation de la spiritualité sur le versant du désir plutôt que sur celui du besoin, et de situer comment ce passage oriente des repères éthiques fondamentaux pour une prise en compte théologique de la croyance.

Soulignons d’abord que, pour Freud, la croyance, comme le besoin spirituel, est liée à la souffrance.

[…] les représentations religieuses procèdent du même besoin que toutes les autres conquêtes de la culture, de la nécessité de se défendre contre l’écrasante surpuissance de la nature. A cela s’ajoutait un second motif, la poussée à corriger les imperfections de la culture ressentie comme pénibles.[32]

Mais cette souffrance, pour Freud, ne se réduit pas à une souffrance traumatique qui émergerait suite à l’annonce d’une maladie ou d’une expérience traumatisante. En fait, selon Freud, l’humain est traversé par des souffrances qui proviennent de deux sources : de l’intérieur de l’organisme, par exemple les sensations du corps, et de l’extérieur, comme la nature et les rapports que les humains entretiennent entre eux. Cette observation conduit Freud à postuler que la civilisation est une structure symbolique et imaginaire par laquelle les humains se prémunissent de la mort, et tentent de coexister. Elle leur permet de régler leurs rapports intersubjectifs de manière à obtenir le moins de déplaisir possible pour chacun, pour le plus grand nombre. Mais, ajoute Freud, le pari est difficile, parce que les humains ont des tendances antisociales (destruction de l’autre aussi bien que de soi) et n’aiment pas spontanément le travail. Cela permet à Freud de constater que le progrès d’une civilisation se mesure au degré d’intériorisation des trois interdits qui fondent la culture : l’inceste, le cannibalisme et le meurtre. Mais, si les interdits sont intériorisés dans le surmoi, cela ne veut pas pour autant dire que les désirs illicites disparaissent ; ils sont, selon Freud, bien présents en chaque humain, et seulement domptés par la civilisation. Ainsi, pour Freud, la culture s’édifie sur la contrainte et le renoncement pulsionnel. Chaque homme ressent les sacrifices, comme une pression pénible, que la culture attend de lui pour assurer la vie en commun. Ce qui le conduite à soutenir :

Pour l’individu comme pour l’humanité en général, la vie est difficile à supporter. La civilisation à laquelle il a part lui impose un certain degré de privation, les autres hommes lui occasionnent une certaine dose de souffrance, ou bien en dépit des prescriptions de cette civilisation ou bien de par l’imperfection de celle-ci.[33] 

Dans ce contexte où l’humain est soumis à un renoncement de ses désirs les plus anciens, la religion se présente comme une solution de civilisation au tragique de l’existence. Elle relèverait d’une névrose collective obsessive, soit une stratégie de contournement de sens qui donne un lieu à l’universel et qui dispense le sujet d’inventer pour lui-même une névrose personnelle. Les dieux naîtraient ainsi d’un triple besoin : calmer l’inquiétude face à la nature, se consoler de la mort inévitable, et dédommager l’humain des frustrations imposées par la culture. Dans L’avenir d’une illusion, Freud fait reposer la religion sur la persistance de la détresse de l’enfant. Mais, dans Totem et Tabou, il fait dériver la religion d’un affrontement père-fils, donc d’un parricide originel fondateur de la civilisation, compensé par la vénération d’un Père symbolique apaisant la culpabilité. Freud, qui souligne cet écart dans L’avenir d’une illusion, en arrive à affirmer la cohérence de sa théorie en insistant sur le fait que les religions sont issues du totémiste, mais que l’étude de la vie infantile offre une explication complémentaire.

Ce qui permet à Freud de soutenir sa lecture de la religion, à la fois dans Totem et Tabou et dans L’avenir d’une illusion, c’est la métaphore entre la fonction paternelle et la représentation de Dieu le père. Selon Freud, le petit d’homme, à cause de sa grande prématurité, naît dans un état de dépendance absolu. À cause de cet état de détresse, l’enfant éprouverait le besoin d’être aimé et protégé, besoins auxquels répondent les parents et, plus particulièrement, le père : 

De l’examen psychanalytique de l’individu, il ressort avec une évidence particulière que le dieu de chacun est l’image de son père, que l’attitude personnelle de chacun à l’égard du dieu dépend de son attitude à l’égard de son père charnel, varie et se transforme avec cette attitude, et que le dieu n’est au fond qu’un père d’une dignité plus élevée.[34]

Ainsi, non seulement Freud ne renie-t-il pas le lien entre Dieu et le père, mais il affirme, en guise de conclusion, que l’humain doit abandonner le stade infantile de recherche de protection divine pour se lancer courageusement dans l’aventure humaine[35]. Ainsi, ce n’est pas seulement en lien avec le mythe de Totem et Tabou que Freud fonde le lien entre Dieu et le père. C’est aussi par l’étude de la vie infantile. Ce constat le conduit à dire que les religions sont des illusions, en précisant le terme d’illusion en deux temps. D’abord, les illusions ne sont pas des erreurs. Ensuite, les illusions ne sont pas des idées délirantes. Elles se distinguent en ceci qu’elles dérivent de la motivation des désirs humains[36].

Cela dit, pour Freud, le stade de l’infantilisme religieux doit être dépassé par la science : parce que l’homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut prendre le risque de s’aventurer dans l’univers hostile. De son point de vue, seule la science peut permettre à l’homme de dépasser les illusions religieuses. Il écrit :

Nous croyons qu’il est au pouvoir du travail scientifique de nous apprendre quelque chose sur la réalité de l’univers et que nous augmentons par là notre puissance et pouvons mieux organiser notre vie. Si cette croyance est une illusion, alors nous sommes dans le même cas que vous, mais la science nous a, par de nombreux et importants succès, fourni la preuve qu’elle n’est pas une illusion.[37]

 

2.1) Questions soulevées par une perspective freudienne : jalons éthiques et enjeux méthodologiques concernant le croire

Ce qui retient notre attention, dans la pensée de Freud, c’est la question de l’illusion, sa foi en la science, et le mouvement singulier qui l’a conduit à relever les croyances religieuses de son époque et les élever en objet de connaissance afin d’en proposer une mise au savoir. Que ce soit en littérature, en philosophie, en psychanalyse, en psychologie, en histoire, des chercheurs se sont intéressés à comprendre et à interpréter la théorie freudienne qui fournit une méthode nouvelle d’exploration des phénomènes de croyances et des pratiques concrètes. À notre avis, cette trace que laisse le texte freudien n’est pas seulement une critique de la religion et de son pouvoir sur les masses. Son texte, L’avenir d’une illusion, écrit en 1927, constitue un véritable risque, un pari qu’il a choisi d’assumer dans la poursuite d’un objectif particulier : ouvrir un espace pour qu’un discours logique et raisonnable, qui admet la découverte de l’inconscient, puisse être élevé au rang de science. Freud n’est pas dupe. Il sait très bien que son livre, dans lequel il dénonce l’illusion des croyances religieuses, est un acte de foi qui n’est pas sans conséquence. Selon lui, ce qui est en jeu, c’est l’objet de sa création : 

Et je me posai alors la question : la publication de cette étude ne pourrait-elle cependant nuire à quelqu’un ? Non pas à une personne, mais à une cause : la cause de la psychanalyse. On ne saurait nier que celle-ci ne soit ma création, et elle a amplement suscité méfiance et mauvaise volonté : si à présent j’avance des propositions aussi déplaisantes, les gens ne seront que trop aptes à déplacer leurs sentiments de ma personne à la psychanalyse.[38]

Si Freud croit à la science davantage qu’à la religion, s’il fait le pari de la raison plutôt que celui de l’illusion, il est aussi possible d’observer que son texte, tout en se faisant très sévère et très critique envers l’institution religieuse de son époque, trace des jalons éthiques importants en ce qui concerne le traitement des croyances. Nous retenons plus particulièrement trois éléments : premièrement, les liens que dessinent une perspective freudienne entre l’acte de croire et la métaphore paternelle ; deuxièmement, son respect envers les croyances individuelles qu’il reconnaît comme des lieux de mise en forme du désir ; et troisièmement, l’attention constante qu’il porte aux croyances religieuses, qu’il situe comme des trésors de représentations. Reprenons les éléments de manière plus systématique.

Il importe de commencer par rappeler que L’avenir d’une illusion est une réaction contre les personnes qui utilisaient sa découverte de l’inconscient pour justifier une posture religieuse, alors que lui cherchait à en distinguer la cause dans la psychanalyse. Aussi sa critique des religions porte-t-elle directement sur les croyances religieuses édictées auxquelles chacun doit croire sans se questionner. En fait, Freud reconnaît les bienfaits des religions, qu’il situe comme des « trésors d’idées, nées du besoin de rendre supportable la détresse humaine, édifiées avec le matériel fourni par les souvenirs de la détresse où se trouvait l’homme lors de sa propre enfance comme au temps de l’enfance du genre humain »[39]. Selon lui, ce trésor qu’est la religion est en quelque sorte déguisé dans un langage symbolique d’une autre époque. Et c’est précisément pour cette raison qu’il faut l’abandonner, mais après l’avoir déchiffré et étudiée pour situer réellement les fondements de notre culture.

Cela dit, si Freud reconnaît les bienfaits de la religion qui a permis la naissance de la culture, il estime que son système n’est plus viable, car, dit-il, les idées religieuses qui ont permis la culture sont devenues des contraintes qui rendent une majorité d’hommes malheureux et qui ne trouvent plus de place dans la culture religieuse dominante. Freud décèle ce malaise et s’objecte en analysant de près deux arguments pour le maintien de la religion qui avaient cours à son époque. La première objection va à l’endroit d’une position dite du « comme si »[40]. Pourquoi devrait-on faire comme si on y croyait, alors qu’on n’y croit pas ? Pour lui, l’ordre social ne peut pas se maintenir à ce prix. Sa seconde objection va à l’encontre d’une croyance décrétée universelle et indiscutable, placée au-delà de la raison. Cette posture culturelle lui apparaît inconcevable car, dans une telle perspective, qu’advient-il de ceux qui ne croient pas ou de ceux qui ne vivent pas d’expérience religieuse ? 

Rappelons que le texte de Freud apporte une distinction entre la religion comme institution de contrôle des masses, et la croyance située sur le plan individuel. Alors que Freud propose de refonder les bases de la culture sur des bases rationnelles afin de laisser place à tous les humains, qu’ils soient ou non croyants, sa perspective ne le conduit pas pour autant à vouloir empêcher, par la force, les vrais croyants de croire. Freud est formel : son écrit ne vise en aucun cas à arracher une personne à ses croyances. Il affirme au contraire que le croyant entretient des liens de tendresse avec sa foi : « Le croyant ne se laisse pas arracher sa croyance, ni par des arguments, ni pas des interdits. Mais si cela réussissait chez quelques-uns, ce serait cruauté »[41].

Ainsi, chez Freud, il ne s’agit pas d’amener une personne à cesser de croire, et encore moins de la contraindre par la force. Nous sommes donc loin d’une intervention en termes de déprogrammation, ou d’exit counseling, qui est le propre des théories de l’addiction religieuse où le besoin spirituel apparait comme pathologique[42]. Pourtant, c’est précisément sur la base d’un argumentaire lié à l’addiction que Freud en arrive à la conclusion que la force et la persuasion ne sont pas des solutions envisageables. En effet, si cette approche lui apparaît cruelle, c’est d’abord parce qu’une personne habituée à prendre un somnifère toute sa vie durant ne peut pas dormir si on le lui retire. L’association de l’action des consolations religieuses à celle d’un narcotique amène une mise en garde importante[43]. Dans le cadre de la prohibition aux États-Unis, on a privé les humains de stupéfiants pour les gaver de la crainte de Dieu. A contrario, qu’adviendrait-il si on privait l’homme de Dieu ?

Freud ne donne pas suffisamment d’éléments pour répondre à cette question. Mais, en restant dans la logique de son texte, il est possible de postuler qu’en privant l’homme de ses illusions, on lui retire un espace de subjectivation important, celui qui ouvre une voie de réalisation à ses désirs. En effet, pour Freud, les religions, par le biais d’une croyance en un Dieu, proposent à l’humain un soulagement en lui procurant un Père aimant, bienveillant et consolant. Ce père évoque à la fois la nostalgie du père protecteur, mais aussi l’angoisse et la culpabilité provoquée par l’autorité paternelle et le désir de parricide. Or cette conceptualisation soulève un certain nombre de questions. D’abord, pourquoi le père répondrait-il davantage au besoin de protection que la mère ? Ensuite, quels sont les liens entre la croyance et le père ? Enfin, qu’est-ce que ça change concrètement pour les personnes de savoir que Dieu et le père sont liés métaphoriquement, au point où les croyances religieuses évoqueraient le rapport au père ?

Freud détourne assez rapidement ces questions en disant que la mère nourricière est le premier objet d’amour de l’enfant, mais qu’elle est remplacée par le père, qui est le plus fort. D’ailleurs, nombre de critiques ont questionné la misogynie de Freud, et de nombreuses recherches ont tenté d’analyser et de comprendre la position freudienne à l’égard des femmes et des mères en montrant que la croyance en Dieu peut tout aussi bien être une évocation du lien maternel que paternel. Dans le cadre de cet article, ce qui retient notre attention, c’est la nature des liens entre le croire et le père. Freud ne semble pas insister explicitement sur une distinction entre le croire comme acte de sujet et la croyance, bien que le rapport métaphorique entre le père et Dieu soit loin de l’exclure. Le fait que, pour lui, la croyance soit à mettre en rapport avec Dieu conduit à se demander si le croire, en tant qu’acte, est liée à la métaphore paternelle, et comment le nouage se fait-il ?

À cet égard, certains travaux de recherches récents, dont ceux de Charles-Henri Pradelles de Latour ou de Stephen Beckerman et Paul Valentine montrent que le rapport au croire concerne les liens entre un père et ses enfants en raison du statut de la paternité, liens qui ne s’évaluent pas exclusivement en fonction des contraintes biologiques imposées par la pensée occidentale, façonnée par « la doctrine du sperme et de la fertilisation »[44]. Suivant ces perspectives, le rapport à la filiation maternelle est une évidence biologique que l’enfant et son entourage connaissent et reconnaissent. Le rapport à la filiation paternelle est différent, parce qu’il implique une dimension imaginaire, symbolique et réelle qui n’est pas sans lien avec le croire. Autrement dit, un homme devient père à partir du moment où une femme le reconnaît, qu’elle le dit père, et qu’il la croit pour ainsi dire sur parole[45]. Si l’homme fait le choix de croire la parole d’une femme qui le dit père, il donnera son nom à un enfant et investira avec lui une relation sous le mode de la paternité. Dès lors que la métaphore du nom du père occupe l’espace symbolique, l’enfant peut investir la relation avec celui que la mère a nommé père, il peut le reconnaître père et s’identifier dans un rapport de filiation. Par son existence, l’enfant sera le témoignage du nom du père, ce trait particulier qui endosse la singularité d’un lien symbolique en unissant et en distinguant le père et l’enfant. Si c’est bien par l’acte de croire que la filiation paternelle est rendue possible, c’est aussi par l’acte de celui ou celle qui, par le nom, choisit de vivre, de parcourir l’histoire bordée par la « Loi des noms du père » qui le précède.

Le mouvement du croire, noué par la fonction paternelle au réel, à l’imaginaire et au symbolique, permet de resituer la perspective freudienne focalisée sur une lecture imaginaire d’une représentation croyante, et de mieux comprendre en quoi cette proposition achoppe. En effet, Freud, en voulant dévoiler le sens caché des croyances religieuses en dieu le Père, propose une interprétation qui en reste au niveau du sens d’une représentation croyante. Elle ne permet pas de comprendre ce qu’il en est du mouvement du croire. D’ailleurs, Freud n’est pas dupe. Il signale bien que le dévoilement du sens psychique ne permet pas de juger de la vérité ou de la fausseté d’une proposition religieuse. Ce rapport à la vérité ne change rien pour les vrais croyants, qui continueront de croire et seront libres de le faire[46]. L’espoir de Freud est qu’en comprenant la fonction psychique des croyances religieuses, il devienne possible de mettre au jour l’illusion religieuse et de libérer les faux croyants de l’exigence culturelle d’y croire :

Nous le répèterons : les doctrines religieuses sont toutes des illusions, on ne peut les prouver, et personne ne peut être contraint à les tenir pour vraies, à y croire. Quelques-unes d’entre elles sont si invraisemblables, tellement en contradiction avec ce que nous avons appris, avec tant de peine, sur la réalité de l’univers, que l’on peut les comparer – en tenant compte comme il convient des différences psychologiques – aux idées délirantes. De la valeur réelle de la plupart d’entre elles, il est impossible de juger. On ne peut pas plus les réfuter que les prouver.[47]

La position freudienne fait ressortir deux aspects concernant le croire et les croyances. Premièrement, Freud donne aux croyancesun statut particulier : celui d’illusion. En choisissant ce terme pour rendre compte du statut particulier des croyances religieuses qu’il veut élever en objet de connaissance, Freud compare les croyances au délire pour mieux le distinguer En effet, pour lui l’illusion religieuse n’est ni un délire, ni une erreur. L’illusion n’est pas une erreur, c’est parce que sa dynamique ne relève pas de la méconnaissance. Ainsi, ce qui distinguerait l’illusion de l’erreur, c’est le fait que les illusions comportent une part de désir, alors que l’erreur relève de l’ignorance. Quant à l’illusion religieuse, elle n’est pas non plus une idée délirante.  En effet, Freud indique que le délire entre d’emblée en contradiction avec la réalité, ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’illusion qu’il définit de la manière suivante :

Ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d’un désir est prévalent, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l’illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel.[48]

En liant les notions de désir et de croyance sous le thème de l’illusion, Freud ne dit pas que la croyance est un désir, mais que la croyance est une illusion quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d’un désir est prévalent. Cette orientation n’est pas sans évoquer la structure du rêve telle que Freud l’a mise de l’avant, en affirmant que le rêve est la voie royale vers l’inconscient parce qu’il est la réalisation d’un désir refoulé. Ce rapprochement entre la structure du rêve et celle de la croyance conduit à une éthique de l’écoute d’une expérience de croyance. En effet, pour Freud le rêve implique un travail de condensation et de déplacement que Jacques Lacan associera à la métaphore et à la métonymie. Cette observation conduit Freud à postuler que le rêve ne peut pas s’analyser n’importe comment ou de manière sauvage, pas plus qu’il ne peut se comprendre selon un dictionnaire des symboles, ou se réduire aux associations de celui qui interprète.

Cette orientation n’est pas sans évoquer la structure du rêve telle que Freud l’a mise de l’avant, en affirmant que le rêve est la voie royale vers l’inconscient parce qu’il est la réalisation d’un désir refoulé. Ce rapprochement entre la structure du rêve et celle de la croyance conduit à une éthique de l’écoute d’une expérience de croyance. En effet, pour Freud, le rêve implique un travail de condensation et de déplacement que Jacques Lacan associera à la métaphore et à la métonymie. Cette observation conduit Freud à postuler que le rêve ne peut pas s’analyser n’importe comment ni de manière sauvage, pas plus qu’il ne peut se comprendre selon un dictionnaire des symboles, ou se réduire aux associations de celui qui interprète. Pour Freud, l’interprétation des rêves implique d’emblée l’écoute d’un sujet parlant :

La technique que j’exposerai dans les pages qui suivent diffère de celle des Anciens par ce fait essentiel qu’elle charge du travail d’interprétation le rêveur lui-même. Elle tient compte de ce que tel élément du rêve suggère non pas à l’interprète, mais au rêveur.[49]

Cette analogie permet de tracer une voieà la prise en compte d’un sujet parlant et désirant qui se révèle dans un dire particulier et singulier concernant une expérience de croyance. Une telle orientation ne consiste pas à répondre à un besoin spirituel dans un acte d’intervention, mais ouvre à la possibilité de l’écoute d’un sujet à croire sur parole, soit un sujet qui se révèle en acte dans une énonciation singulière et particulière.

3 - Introduction à la dimension du croire : un acte de sujet à dit-cerner

Dans un essai datant de 1739, Hume soulignait, dans une note de bas de page, qu’il suffit de réfléchir un peu à la question de la croyance pour en arriver au constat que :

This operation of the mind, which forms the belief of any matter of fact, seems hitherto to have been one of the greatest mysteries of philosophy; tho’ no one has so much as suspected, that there was any difficulty in the case; and that even when I think I understand the subject perfectly, I am at a loss for terms to express my meaning.[50]

Plus de deux cents ans plus tard, force est de constater que la dimension du croire est toujours aussi difficilement saisissable. Une telle difficulté n’est pas étrangère au fait que la compréhension du croire est traversée par des enjeux historiques fondamentaux. En effet, selon Pierre Gisel, en modernité, le croire est l’héritier d’un dispositif particulier :

[…] nous héritons des problématisations dont il a été l’objet. […] Tout particulièrement, ce qui se noue ou ne se noue plus avec le croire en terme de sujet au cœur du social d’une part (non sans interrogation à conduire touchant une pente homogénéisante interne aux sociétés contemporaines), de ce qu’il en est de l’institution et de l’adhésion qu’il réclame ou sécrète d’autre part (non sans une interrogation à ouvrir à propos d’une neutralisation propre aux sociétés d’aujourd’hui, fonctionnelle et se développant à l’ombre d’un échec des formes qu’une certaine modernité avait pu vouloir substituer au religieux en terme d’Église).[51]

En raison de l’histoire du croire et des enjeux épistémologiques qui y sont liés,   l’articulation des rapports entre croire et savoir constitue un défi de taille pour une culture moderne qui se fonde sur une coupure épistémologique entre science et religion. En effet, qu’en est-il du croire dans une culture qui ne se dit plus religieuse ? Est-ce qu’il se serait-il laïcisé en même temps que la culture ? Ou serait-il plutôt resté confiné aux groupes religieux ? La spiritualité, les sectes, les religions se supportent-elles d’un rapport au croire différents, ou au contraire relèvent-elle d’une même économie subjective qui se manifeste dans des rapports différents ?

La problématique du croire à un autre versant. Selon Pierre Gisel, une des façons d’aborder le croire consiste à distinguer le croire, en tant qu’acte de sujet, de la croyance comme objet du croire, imposée par l’épistémologie moderne. Mais il souligne aussi que cette distinction ne va pas de soi, du fait même que le croire et les croyances sont intrinsèquement liées au point d’être difficilement discernables l’un de l’autre. Comme il l’écrit :

Les plans du croire et de la croyance sont à distinguer. Mais ils sont liés également. C’est que d’un côté, il n’y a pas de croire – d’acte assumable en subjectivité, réflexive et objet de problématisations propres – en dehors des croyances communes, partagées et institutionnalisées, au moins implicitement. Le croire n’est pas un acte pur, d’expérience spirituelle ou mystique quasi déconditionnée. […] Tout croire est débordé par les croyances effectives et ce qui s’y joue ; et les croyances sont inquiétées par une dramatique qui, inscrite sur leur corps social, les traverse et en dit un statut irrémédiablement contingent, du coup limité, même si le fait en est irréductible et requis pour l’émergence même du croire.[52]

Comme on peut le constater, l’acte de croire apparaît en modernité comme une donnée expérientielle difficilement saisissable en dehors de l’objectivation des phénomènes de croyances, parmi lesquelles les croyances sectaires, religieuses et spirituelles se situent. Pourtant, les croyances ne rendent pas directement compte du rapport au croire des personnes, précisément en raison du fait que le processus de mise au savoir entraîne nécessairement leur objectivation. Sur ce sujet, Jean-Paul Willaime soutient l’hypothèse que la difficulté à prendre en compte le croire des personnes relève du fait que le croire est une affirmation langagière qui rend difficile, voire impossible, la saisie de la logique de l’acteur qui parle de son croire. De ce point de vue, la principale difficulté tient à ce que l’objectivation sociologique des phénomènes de croyances confronte le chercheur à la langue même, en tant qu’elle fait corps avec une certaine construction sociale de la réalité :

On saisit ici une certaine pratique sociale du croire qui est loin de la croyance comme représentation, comme contenu de conscience auquel adhèrerait le sujet ; une construction du croire qui nous renvoie aux constructions pragmatiques à travers lesquelles les énoncés font sens dans des situations diverses d’énonciations.[53]

Cette donnée montre précisément toute la difficulté que représente la dimension du croire du point de vue du savoir, si on ne veut pas la réduire à un contenu de croyance. Cette problématique concerne directement la place du sujet parlant qui se trouve exclu ipso facto d’une compréhension scientifique de l’acte de croire. On peut se demander si cette exclusion ne se justifie pas précisément en raison des processus méthodologiques qui sont construits pour élever la croyance au rang de savoir. Autrement dit, , est-ce que cette difficulté que le croire apporte, comme dimension d’acte nécessairement singulier, n’oriente pas le développement d’approches scientifiques dans lesquelles les croyances deviennent des objets de recherche permettant d’extirper un savoir sur la société, la culture ou les individus et leurs processus psychiques, à partir des énoncés de croyances ? Cette observation conduit à la question de savoir comment prendre en compte la singularité d’un acte, en le conciliant avec la nécessité de repères généraux que nous aborderons par le biais de l’étymologie, qui offre des pistes de réflexions importantes.

 

3.1) Définition étymologique du croire : précision sur la nature de l’acte de croire

L’étymologie du verbe croire dérive dulatin credere, qui a une double signification : croire et faire confiance. Comme l’énonce Algirdas Julien Greimas,

Le latin « credere » couvrait en même temps les champs de signification, aujourd’hui séparés, de croyance et de confiance ; la confiance entre les hommes, établie et maintenue, fondait la confiance dans leur dire sur les choses et, finalement, dans les choses elles-mêmes.[54]

Alors que pour Greimas, credere est d’emblée mis en lien avec la croyance, il est pour le moins significatif que la lecture étymologique du croire qu’Émile Benveniste développe se retrouve dans une partie de son ouvrage consacrée à l’économie, en l’occurrence dans la section relative aux obligations économiques. Cette perspective, économique, montre que le croire concerne le registre de l’échange, donc le système du don. De ce point de vue, le croire signifie : « confier une chose avec certitude de la récupérer »[55]. Le croire implique donc une valeur d’échange : c’est un prêté pour un rendu, un crédit accordé en vue d’un retour, soit l’acte de confier une chose avec la certitude de la récupérer. C’est cette même structure qui est reprise d’un point de vue religieux, puisque le croire est alors défini comme un « acte de confiance (en un dieu) impliquant restitution sous forme de faveur divine accordée au fidèle »[56].

Cette définition permet de montrer que le croire, comme dimension concernant le registre de l’échange, fait intervenir un tiers comme lieu garantissant le principe de respect des lois de l’échange et des engagements contractés dans cet échange. En fait, ce qui est déposé chez les dieux par l’acte de croire, c’est le Kred, dont le statut est particulier :

Le Kred serait une sorte de « gage », d’« enjeu » ; quelque chose de matériel, mais qui engage aussi le sentiment personnel, une notion investie d’une force magique appartenant à tout homme et qu’on place en un être supérieur. Il n’y a pas d’espoir de mieux définir ce terme, mais nous pouvons au moins restituer le contexte où est née cette relation qui s’établit d’abord entre les hommes et les dieux, pour se réaliser ensuite entre les hommes.[57]

Cette perspective débouche sur une question majeure : si l’acte de croire est d’abord l’échange d’un objet qui va de l’homme à Dieu, et ensuite de l’homme à l’homme, la nature de cet acte est à préciser. Or, Émile Benveniste mentionne que c’est précisément par cet acte que le sujet confie quelque chose à une divinité, en vue d’un retour : « Par un transfert connu, toutes les fois qu’une divinité a une fonction, c’est de cette divinité que les hommes ont besoin pour accomplir cette même fonction sur terre »[58]. Sous ce premier versant, la lecture étymologique du croire conduit à insister sur la dimension de confiance nécessaire dans l’échange, ce qui implique de courir un risque : en effet, quelle garantie peut permettre d’assurer un retour escompté ? Cette question rejoint le second versant de l’étymologie du terme croire, qui concerne le rapport de confiance. Mais avant même de passer à la confiance, une question se pose : quel est le statut du gage qui a été confié à la divinité et qui engage le sentiment personnel d’un sujet ? Autrement dit, quel est le prix du croire ?

La définition étymologique met l’accent sur le fait que le croire implique qu’un objet soit cédé à un autre en vue d’une restitution. Il y a lieu de mieux caractériser la nature de cet objet échangé dans le croire, et d’en déterminer le prix. À cet égard, la seconde perspective étymologique développée par Marc-François Lacan[59] est intéressante. Selon cet auteur, le verbe croire, credere, réunit le mot kred, ici compris comme cœur, et celui de donner dare. Dans cette perspective, le croire signifierait donc « donner son cœur »[60]. Or, selon Marc-François Lacan, le terme cœur en latin, réfère au principe intérieur de la pensée, un mouvement qui serait en lien avec la capacité de lire à l’intérieur des êtres humains. Parce que le cœur de l’homme est impliqué dans l’acte de croire, Marc-François Lacan postule que « l’acte de croire suppose une rencontre avec quelqu’un dont je découvre qu’il est autre et à qui je m’ouvre précisément parce qu’il est autre »[61].

Cette structure du croire serait démontrée dans le processus de structuration de l’enfant.  L’enfant qui ne parle pas poserait l’acte de croire dès qu’une parole lui est adressée, et ce croire ferait surgir en lui la confiance, ce qui le fera entrer à son tour dans la parole structurante où il s’expérimentera comme sujet parlant. Ainsi, avant même que la parole lui soit donnée, le croire serait nécessaire à l’être parlant pour entrer en relation avec d’autres humains et découvrir l’altérité radicale de l’Autre qui refuse qu’une relation se ferme sur elle-même.

Ici encore, le statut de l’objet est problématique. Car si le kred est bien le cœur, cela conduit à considérer que l’objet du don offert à la divinité est le cœur de l’homme. Cette orientation, bien que différente de la perspective de Benveniste selon lequel le kred est un objet investi d’une force magique qui s’apparente à la confiance, n’est cependant pas forcément contradictoire[62]. En effet, si le cœur est un organe corporel, le cœur est aussi l’expression symbolique de la vie affective par excellence. Comme l’écrivait Dolto, le cœur, sur le plan psycho-dynamique, occupe un espace particulier :

Il semble que c’est au cœur qu’est réservée la projection du lieu focal où l’être humain situe symboliquement ses sentiments d’identification, de confiance, de sécurité passive ou active et d’échanges affectifs avec son semblable humain. Le mot cœur paraît remplacer le mot ventre ou tube digestif pour tout ce qu’il y a d’affectif et de subtil dans les émois d’incorporation magique, de plénitude et de vide magique qui apportent le rassasiement ou l’affament de puissance émotionnelle émanant des échanges avec nos semblables.[63]

Ainsi, le cœur, un organe vital par excellence, est aussi lié à la dimension affective et rationnelle. Le cœur participe à la vie, à la raison et à la magie. Si le cœur est bien l’objet en partage dans l’acte de croire, le cœur en tant qu’organe n’est évidemment pas ce qui est donné à la divinité, du moins en modernité[64]. Mais qu’est-ce que donner son cœur sinon donner sa force vitale ? Que donne celui qui parle dans un rapport d’écoute ? Autrement dit, dans le rapport à l’écoute d’une expérience de croyance, comment cet objet particulier, le kred, associé à la confiance et au cœur, s’articule-t-il ?

La problématique de l’objet en jeu dans le croire, et par conséquent dans une écoute du croire, n’est pas anodine, puisque des chercheurs comme Tobie Nathan et Jean-Luc Swertvaegher en arrivent à postuler que le modèle ethno-psychiatrique de la sorcellerie est nécessaire pour comprendre le jeu d’échange qui se met en place entre des adeptes et un gourou ou entre des adeptes et un groupe. Précisément, selon eux, parce que le bien qui fait objet de convoitise, au-delà des bénéfices sexuels et du prestige financier, c’est l’âme des adeptes :

[…] c’est de la capture de cette âme que des organismes aux intentions malveillantes attendent des bénéfices. Il faut en convenir, le modèle de fonctionnement sectaire est avant tout celui d’un rapt d’âme, déliant les adeptes de leurs engagements sociaux, de leurs attachements civiques, de leurs fidélités et, de ce fait, les assujettissant au groupe et au gourou.[65]

Ainsi, que ce soit l’âme, le cœur, ou la force magique, il semble que la pierre angulaire du croire se situe dans un rapport d’objet trouble. L’objet dont il est question dans le croire se trouve aux frontières d’un corps mythique, imaginé dans un rapport originel perdu, et de l’idée du monde extérieur qui entre en correspondance avec cette perception. En tant que tel, le croire concerne une expérience de perte qui fait effet de manque insaisissable, ineffaçable et inépuisable, au point de se demander si ce n’est pas ce manque fondamental qui permettrait aux personnes de se construire en tant que sujet désirant.

Notre analyse nous conduit adhérermouvement du croire comme dynamique d’échange : il s’agit de confier quelque chose en vue d’une restitution. Ce qui conduit à interroger le statut particulier du kred, l’objet d’échange. Car admettre que les adeptes de sectes entrent dans un jeu d’échange avec leurs gourous, Dieu ou les autres membres, implique de considérer que l’expérience sectaire concerne précisément cet objet dans l’acte de croire. Or, si cet objet, situé comme le cœur ou l’âme des personnes, est en jeu dans l’acte de croire, nous pouvons poser l’hypothèse qu’il intervient aussi dans un rapport d’écoute. En effet, lorsqu’une personne témoigne de son expérience dans un groupe sectaire ou en milieux de santé, n’est-ce pas précisément cet objet situé à la lisière du corps et de l’hors-corps qui est mis en jeu dans la parole ? Après tout, comme le montre Marc-François Lacan, dès qu’une personne parle, elle suscite une dynamique d’échange, par le fait même qu’elle parle d’elle à une personne qui écoute. Or, comment aborder la question d’un objet qui, sans être tout à fait interne, ni tout à fait externe, est situé à la lisière du corps et de l’hors-corps ?

Cette question est majeure dans le champ qui nous occupe, soit celui de la théologie car, elle concerne le statut particulier de l’objet de la croyance mis en jeu dans le dire d’une personne qui prend le risque de parler de son parcours. Si, comme nous le soutenons, le croire est une composante identitaire qui concerne le registre de l’échange et de la confiance, cela revient à postuler que le croire est animé par un désir inscrit au présent qui témoigne d’une division interne où le dire ne peut pas enfermer le faire. Cette perspective trace un jalon éthique fondamental en ce qui concerne l’écoute du dire des personnes en cause dans le sectaire et des malades. En effet, elle implique l’exigence d’une écoute qui refuse d’écouter une expérience de croyance en la situant d’emblée dans le vestige d’un temps passé. Elle postule que le mouvement du croire soutient des pratiques réelles, crée des réalités sociales et se nourrit de l’énonciation d’un sujet. C’est pour ces raisons que le croire est un mouvement de l’humain qui vient se placer précisément au point précis où le manque se produit dans l’abolition du sens. Autrement dit, le récit d’une expérience de croyance reste un discours qui ne peut être fidèle à l’expérience du croire, pour la simple raison qu’il parle d’une expérience passée qui écrit au présent l’espoir d’un futur antérieur.

Cette orientation ouvre vers l’hypothèse d’un sujet à croire sur parole. Ce qui caractérise l’écoute du sujet à croire sur parole, c’est notre confiance en la parole. Parce que nous croyons que du sujet peut advenir, parce que nous choisissons de croire sur parole une personne qui parle de son parcours, nous posons la parole dans la vérité de celui qui parle et de celui qui écoute. Ce n’est pas là une illusion romantique. Cette écoute ne guérit pas. Elle ne dénoue pas le symptôme. Elle ne peut même pas prétendre au bien de l’autre. La parole, si elle est source de créativité, de création, peut libérer comme elle peut enchaîner. Pour cette raison, le travail de l’écoute du sujet à croire sur parole demande beaucoup de rigueur. La chaîne signifiante « arbitraire » obéit à une loi, et cette loi, qui se soutient de l’hypothèse de l’inconscient structuré comme un langage, implique que la parole n’est pas sans la perte. Le sujet n’est pas maître en sa demeure. Sur les chemins de l’inconscient, il y a l’expérience subjective du désir, de l’angoisse, de la jouissance, indicateurs d’un réel non objectivable qui concerne la pulsion de mort. Rien n’est magique sur les traces de l’écoute d’un sujet à croire sur parole. Écouter une personne jusque dans l’angoisse qui l’envahit, écouter une souffrance qui peine à se dire, c’est consentir à entendre les signifiants dans l’épreuve qu’ils suscitent en nous, et discerner ce qui fait souffrir l’être charnel ravagé par le verbe de manière à ce que la personne puisse en répondre et ce, parfois à son grand déplaisir. Croire qu’il n’y a pas de vie qui vaille la peine si la parole n’ouvre pas chez le vivant la dimension d’altérité qui fait de lui un sujet parmi tant d’autre, n’est-ce pas ouvrir un lieu d’espoir au cœur de la difficulté de vivre ?

Conclusion

Le croire, tel que nous l’avons abordé, ne peut être confiné à une dimension religieuse ou spirituelle, même si ces champs apparaissent comme des lieux privilégiés du croire. Le croire, dans sa dimension d’acte, apparait davantage comme une tension fondamentale de l’être humain vivant, une dimension constitutive du sujet parlant : « j’ai cru et j’ai parlé », j’ai parlé et j’ai su. Parce que parler c’est croire, le croire est un mouvement qui maintient la tension entre besoin et désir, il concerne la dimension de l’acte. En tant que tel, il se présente comme une composante identitaire nécessaire à l’humain pour que le petit d’homme, né d’un père suffisamment croyant pour faire don de son nom, puisse croître et créer le lien social, le vivifier et le recréer encore et en corps. Le croire est un acte qui s’apparente à la confiance : confiance dans le nom qui lui a été légué pour s’inscrire dans une lignée, confiance en la mère suffisamment bonne pour vouloir imiter les sons, les mots et s’ouvrir au monde, confiance suffisante en une culture humaine pour y confier quelque chose comme le kred, en maintenant l’espoir de le retrouver, confiance suffisamment grande dans le genre humain pour supporter une relation d’amour.

Composante essentielle du sujet parlant, le croire n’est toutefois pas saisissable en tant que tel. Empreintes durables ou éphémères selon la résistance des croyances qui en sont la marque, les traces du croire se situent aux limites de la lisibilité. C’est dire qu’en modernité, le croire ne se laisse plus retrouver dans des écrits dogmatiques de naguère. Ne se laissant réduire ni au savoir, ni aux croyances, ni à la parole, le croire, lisible dans les traces qu’il laisse, ne peut que faire symptôme dans une culture qui essaie tant bien que mal d’effacer la trace du désir. Un désir qui ne cesse pourtant pas de s’écrire dans les paroles ou dans les écrits des vivants interrogés par la rencontre du réel.

De ce fait, chercher à dégager les conditions de lisibilité du croire implique de renoncer à l’illusion d’une maîtrise totale de l’acte de croire comme du savoir. Prendre en compte le croire implique une posture différente : se situer sur les bords d’un savoir que le savoir ne maîtrise pas. Cette posture ouvre à une éthique du sujet parlant, dont nous avons dit qu’il est à croire sur parole, un sujet en acte.  

Suivant cette approche, les croyances sont d’abord des faits de discours. En tant que tel, elles ne se réduisent pas exclusivement à un objet de connaissance, A cet égard, les travaux de Freud, permettent de tracer des enjeux éthiques et méthodologiques majeurs en ce qui concerne le traitement des croyances énoncées par une personne qui parle de son parcours. Pour lui, la croyance n’est pas le croire, comme nous l’avons montré ailleurs[66]. Mais en prenant en compte la croyance, Freud en arrive à tracer des repères éthiques qui concernent l’interprétation de la croyance, soit la trame signifiante d’où s’articule la dimension du croire.

Pour Freud, la croyance n’est pas un besoin, ni une erreur, ni une idée délirante. Elle a à voir avec la souffrance humaine, mais pas à une souffrance traumatique, comme cela est articulé dans les théories de l’addiction religieuse. La souffrance a un rapport intrinsèque à la condition humaine : l’humain est souffrant de par son corps, de par le processus de civilisation. La figure de Dieu apparait comme un espace de subjectivation lié à l’illusion dans la mesure où l’articulation de ce lieu se fait en termes de réalisation d’un désir. Est-ce que pour autant toutes les croyances sont des illusions ? En suivant de près l’articulation freudienne, il semble que non, puisque l’acte de foi que celui porte à la science dit qu’il ne s’agit pas d’une illusion, précisément parce que le chemin de la science qu’emprunte son propre rapport au croire pourrait apporter quelque chose à la compréhension de la réalité, mais que le chemin pour arriver à cette compréhension appelle une démarche différente que la réalisation d’un désir.

Cela dit, que les croyances soient ou non illusion, les repères freudiens sont formels : parce qu’elles sont liée au désir, les croyances ne peuvent pas être interprétée de manière sauvage, pas plus qu’elles ne peuvent se comprendre selon un dictionnaire des symboles, ou se réduire aux associations de celui qui interprète. L’écoute des croyances implique d’emblée l’écoute d’une dimension discursive subjective où se condensent et se déplacent des représentations de désir nécessairement singulières. Une telle approche ne peut certainement pas réduire les croyances à l’ordre d’un besoin. Il ne s’agit donc pas de prendre en compte un besoin et tenter d’y répondre en gavant l’autre de sens qui vont dans tous les sens, mais d’écouter comment, dans l’articulation signifiante d’une croyance, un sujet se révèle en acte. Une telle orientation pourrait-elle permettre une approche différente de l’intervention spirituelle ou psycho-spirituelle ? En orientant l’écoute, non par une réponse au besoin, mais par une reconnaissance du désir, serait-il possible d’ouvrir un espace pour que du sujet puisse advenir dans l’énonciation d’un dire dont l’articulation garde les trace d’un rapport au croire, et relancer le sujet sur sa propre trajectoire?


L’auteure est titulaire d’un doctorat en théologie et directrice du CÉINR et spécialiste en activité clinique au CSSRN où elle travaille comme professeure adjoint à la formation des résidents en médecine.


[1]  Marc Angenot, En quoi sommes-nous encore pieux ? Sur l’état présent des croyances en Occident, Québec, Presse Université Laval, 2009.

[2] Michel de Certeau, « Le croyable. Préliminaires à une anthropologie des croyances », dans : Hermann Parret & Hans-George Ruprecht (dir.), Exigences et perspectives de la sémiotique, Amsterdam, J. Benjamin, 1985, p.704.

[3] Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, p.98.

[4] Les besoins spirituels recouvrent 6 axes différents : sens, transcendance, valeurs, identité, appartenance et rituels.

[5] J.H Thieffry, Besoins spirituels au cours des maladies graves. Émergence de cette notion chez les soignants, analyse et lecture théologique, dissertation et licence de théologie et philosophie, février 1990.

[6] Selon de récentes directives de l’ordre des infirmières et infirmiers,  le besoin spirituel est considéré comme un besoin humain dont doivent tenir compte les infirmières, les médecins et les intervenants en soins spirituels dans la pratique quotidienne des soins aux malades. Voir : http://www.aiinb.nb.ca/PDF/CNA_Spirituality_2010_f.pdf

[7] Il est intéressant de noter qu’il existe plusieurs échelles, dans la littérature, destinées à évaluer formellement la spiritualité. Il s’agit d’une véritable « anamnèse spirituelle », par exemple : the HOPE Approach (H pour Hope, O pour Organised religion, P pour Personal spirituality / Practices, E pour Effects on medical care and End-of-life issues. Voir : Levin JS, Larson DB, Puchalski CM. Religion and spirituality in medicine: research and education.JAMA. 1997.

[8] Par exemple: Claude Berghmans et Jean-Louis Torres, Spiritualité et santé : un pont thérapeutique, Paris, inter-édition, 2012.

[9] Le CÉINR, est le Centre d’écoute et d’interprétations des nouvelles recherches du croire, voir : www.ceinr.com.

[10] Cité par André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF Quadrige, 2002, p. 879.

[11] Daniel P. Sulmasy, "A Biopsychosocial-Spiritual Model for the Care of Patients at the End of Life", Gerontologist, 42\3 (2002), p. 26.

[12] Paul Mueller, David Plevak & Teresa Rummans, "Religious Involvement, Spirituality, and Medicine: Implications for Clinical Practice", Mayo Clinic Proceedings, 76 (2001), p. 1225-1235.

[13] Sans entrer ici de manière spécifique dans le débat, soulignons que certains auteurs contestent la validité scientifique des études précédemment citées qui tendent à démontrer l’effet thérapeutique de la spiritualité et ses bienfaits sur la santé. Pour eux, ces études ne sont pas neutres, car elles prennent uniquement en compte la spiritualité. Voir : Richard Sloan & Emilia Bagiella« Religion, Spirituality and Medicine », The Lancet, 353 (1999), p. 666-667.

[14] Bernard Chouvier privilégie de comprendre les croyances et la spiritualité du seul point de vue de la réalité psychique. Selon lui, l’addiction religieuse intervient lorsque survient une « prise au miroir de la spiritualité idéale d’une personne et d’un groupe » qui oriente un « rapport d’objet total » ne pouvant être vécu que sur le registre de l’addiction. Il écrit : « L’impétrant se place en position de dépendance relative voire de dépendance absolue ; il se laisse littéralement investir par la secte conformément à son besoin manifeste ». Voir Bernard Chouvier, « Les avatars de l’idéal », Sectes et Démocratie, Paris, Seuil, p. 231.

[15] Voir : Jean-Yves Roy, Le syndrome du berger. Essai sur les dogmatismes contemporains, Montréal, Boréal, p. 21.

[16] Jean-Yves Roy, Le syndrome du berger. Essai sur les dogmatismes contemporains, p. 21.

[17] Marie-Ève Garand, Analyse du concept d’addiction dans l’étude des phénomènes sectaires. Comment passer d’une recherche de signification à une logique du signifiant ? Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2004, 225p.

[18] Luc Ferry, L’Homme-Dieu ou le sens de la vie, Paris, Grasset, 1997.

[19] Luc Ferry, L’Homme-Dieu ou le sens de la vie, p. 34.

[20] Luc Ferry, L’Homme-Dieu ou le sens de la vie, p. 40.

[21] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme. Introduction à la spiritualité sans Dieu, Paris, Albin Michel, 2006, p. 166.

[22] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme. Introduction à la spiritualité sans Dieu, p. 166.

[23] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme. Introduction à la spiritualité sans Dieu, p. 179.

[24] Pour une lecture critique de la proposition d’André Comte-Sponville qui conduit à nier la souffrance et le mal, voir : Hubert Hausemer, « André Comte-Sponville ou la disparition du Mal », Philosophie, 264/5 (2007), p. 50-56.

[25] Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971, pp. 9-27.

[26] Slavoj Žižek, Plaidoyer en faveur de l’intolérance, Paris, Climat, p. 56.

[27] Slavoj Žižek, Plaidoyer en faveur de l’intolérance, p. 57.

[28]Slavoj Žižek, « La passion à l’ère de la croyance décaféinée », dans : Slavoj Žižek, La subjectivité à venir, Paris, Flammarion, pp. 159-175.

[29] Slavoj Žižek, « La passion à l’ère de la croyance décaféinée »,  p. 163.

[30] Slavoj Žižek, Fragile Absolu, p. 74.

[31] Pour Marc Angenot, ce repli vers l’être est une perspective dépourvue d’espoir devant l’à venir. Marc Angenot, En quoi sommes-nous encore pieux? Sur l’état présent des croyances en Occident, p.107.

[32] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, Paris, PUF, p. 7.

[33] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 18.

[34] Sigmund Freud, Totem et Tabou, Paris, Payot, 1966 [1938], p. 169.

[35] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 31.

[36] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 32.

[37] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 57.

[38] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 37.

[39] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 32.

[40] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 29.

[41] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 29.

[42] Rappelons brièvement que les notions de déprogrammation et d’exit counseling sont des thérapies mises sur pied pour contraindre ou bien par la force ou bien par la persuasion des personnes de quitter leur groupe sectaire et d’abandonner leurs croyances religieuse. 

[43] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 50.

[44] Voir : Stephen Beckerman & Paul Valentine,Cultures of Multiple Fathers. The Theory and Practice of Partible Paternity in Lowland South America, Gainesville, University of Florida Press, 2002, p. 2.

[45] Certes, l’homme a le choix de croire ou non ce que la femme lui dit, et la science dispose actuellement des moyens pour prouver la filiation biologique. Mais la paternité n’est pas qu’une affaire génétique, c’est une fonction qui noue à la fois le réel, l’imaginaire et le symbolique. Voir : Érik Porge, Les noms du père chez Lacan, Toulouse, Ères, 1997, p. 163.

[46] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 28.

[47] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 29.

[48] Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, p. 121.

[49] Sigmund Freud,  L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1993 [1899], p. 92.

[50] David Hume, A Treatise of Human Nature, Londres, Penguin Books, 1985, (1739), p. 82.

[51] Pierre Giesel, Les constellations du croire, Genève, Labor et Fidès,1999, p.23.

[52] Pierre Gisel, « Diverses facettes de la thématique du croire. Données et problématiques d’ensemble », dans : Pierre Gisel & Serge Margel (dir.), Les constellations du croire. Dispositifs hérités, problématisations, destins contemporains, Genève, Labor Fidès, p.54.

[53] Jean-Paul Willaime, « Le croire, l’acteur et le chercheur. Introduction au dossier croire en modernité », Archive de science sociale des religions, 81 (1993), p. 7-16.

[54] Algirdas Julien Greimas, Du sens II. Essai sémiotique, Paris, Seuil, 1983, p. 47.

[55] Émile Benveniste, Dictionnaire des institutions Indo-Européenne, Paris, Les éditions de Minuit, 1969, p. 171.

[56] Émile Benveniste, Dictionnaire des institutions Indo-Européenne, p. 172.

[57] Émile Benveniste, Dictionnaire des institutions Indo-Européenne, p. 179.

[58] Émile Benveniste, Dictionnaire des institutions Indo-Européenne, p. 174.

[59] Marc-François Lacan, « Structure anthropologique du croire », Sémiotique en Bible, 66 (1992), p. 287.

[60] Marc-François Lacan reprend en fait la lecture étymologique du terme croire que proposait Hans Khöler, qu’Émile Benveniste a refusé pour des raisons phonétiques et sémantiques. Sur ce sujet, voir : Jacques-Duchêne-Guillemin, « La contribution d’E. Benveniste aux études avestiques », dans : Guy Serbat, Jean Taillardat & Gilbert Lazart (dir.), Émile Benveniste aujourd’hui. Actes du Colloque international du CNRS, Louvain, édition Peeters, p. 197-206.

[61] Marc-François Lacan, « Structure anthropologique du croire », p. 289.

[62] Certains auteurs rapprochent d’emblée le kred du mot confiance, foi. Mais le mot foi vient du latin fides, qui a donné entre autres les mots fidèles, confiance. Le mot est lui-même issu d’une origine indo-européen bheidh, avoir confiance. Cette racine a fourni deux couples associés, d’une part le verbe grec peithomai (être persuadé, avoir confiance, obéir) et le substantif abstrait peithô (persuasion), et d’autre part le verbe pisteuô (avoir foi) et le nom d’action pistis (confiance, foi). Voir : Émile Benveniste, Dictionnaire des institutions Indo-Européenne, p. 115-121.

[63] Françoise Dolto, « Le cœur expression symbolique de la vie affective », Études carmélites, 2 (1950),  p. 34.

[64] En modernité, le cœur n’est pas donné de manière directe à la divinité. Par contre, dans la Mésoamérique ancienne, la cardiectomie était une technique rituelle de sacrifice humain pratiquée de manière régulière et parfois massive. Elle consistait à extraire le cœur du sacrifié de sa cage thoracique à l’aide d’un couteau en silex. Michel Graulich, Le sacrifice humain chez les Aztèques, Paris, Fayard, 2005, 415 p.

[65] Tobie Nathan & Jean-Luc Swertvaegher, Sortir d’une secte, Paris, Seuil, 2003, p. 57-58.

[66] Marie-Eve Garand, Sébastien Falardeau, Guy-Robert St-Arnaud, « Parler c’est croire », Ouvertures, vol. 1, p.